Sylvain Cavaillès : Frontière noire

 
par Siegfried Plümper-Hüttenbrink

Il est des livres qui sont à ranger parmi les produits inflammables. Ils prennent littéralement feu en les lisant, alors que d’autres vous laissent de marbre. Le « journal de bord » de Sylvain Cavaillès (tenu de décembre 2015 à février 2017 au cours de son séjour en Turquie) en fait partie. Le feu et l’état d’urgence y sont à l’ordre du jour. Et c’est à peine si une vague sensation de brûlure aux mains ne persiste pas au sortir de sa lecture. Pour ma part, je me souviens qu’elle fut hâtive, presque hagarde comme peut l’être une traque qui n’en finit plus de zigzaguer entre les lignes. Sans doute devais-je me sentir inexplicablement en phase avec l’état de vigilance que l’écriture de ce journal dut requérir ? La vigilance sans faille d’un passeur se doublant d’un traducteur, à cheval sur une ligne frontalière et qu’il n’a de cesse de franchir entre deux langues (française et turque) et deux villes (Strasbourg et Istanbul). Une frontière que Sylvain Cavaillès dit être noire de ce qu’on ne peut que la franchir en aveugle et en pleine clandestinité. Et à écrire à partir de cette ligne – tout aussi bien de vie que de mort lorsqu’on se risque à la franchir – il est amené à vivre l’équivalent d’une expérience intérieure telle que l’entendait Georges Bataille. Ainsi avoue-t-il en dernier recours, alors qu’il réside en résistance à Istanbul avec les voix des minorités kurdes pour qui il ne cesse d’intercéder : « J’écris et ce que j’écris ne sera visible qu’à long terme… Je n’appartiens à aucune organisation. Je suis seul. Ce qui me retient, au bout du compte, c’est la pensée d’être nu… Car mon ancrage reste étranger. Ma peau, mon parler me trahissent. » Et s’il s’est résolu à séjourner dans la cité du Bosphore sous haute surveillance, c’est en vue d’y tenir une sorte de journal non pas intime ou privé, mais extime, et au cours duquel il opère des relevés de terrain, relate des bribes de conversations, cible des nouvelles qui transitent clandestinement sur les réseaux sociaux. Le vu, l’entendu et le lu se donnant le répons dans cette chronique et à laquelle les facéties picturales de Jean-Marc Scanreigh pourraient survenir en exergue.




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Avec des dessins de J.-M. Scanreigh
Mémoire Active
64 p., 15,00 €
couverture