par Sébastien Hoët
« Je cherche à penser selon les forces, dans un espace magnétique, dans un champ aimanté » (p. 29, N. souligne). Ce recueil de quatre textes, qui se clôt par une version théâtrale du bien-nommé Vivier des noms, est agité d’une formidable force tourbillonnaire où les mots pensent au-dehors et valent pour eux-mêmes dans un même et simple geste agité, comme si l’Être s’exsudait de ce brassage en s’expliquant. Généreuse implication de l’« auteur », mot qui n’a plus grand sens ici, et de ce qui est à-dire, dans ce qui est à-dire. La langue, répète Novarina, n’est pas (que) ce qui communique, elle est davantage un saut, une désadhérence (p. 48), qui déproprie l’homme de lui-même, ou mieux : manifeste que l’homme est à proportion de l’inhumanité qui le constitue et l’étrange à soi. On est en l’occurrence bien éloigné d’une vulgate linguistique où la langue se définit comme un produit social et conventionnel ; Novarina médite quant à lui dans le lieu sauvage d’une métaphysique du langage que ne renieraient pas Heidegger et les grands talmudistes, d’où un très bel éloge de l’apprentissage des langues anciennes conçues comme Logos, c’est-à-dire verbe vivant où la chose n’est plus à distance mais se dit, ou plus précisément, car Novarina pense en méta-physicien, verbe vivant où la matière danse, où la nature énonce substantiellement sa grammaire. Au vrai, c’est avec une belle dextérité, qui n’a rien de la virtuosité intellectuelle mais tient plutôt du contact de la chose, d’une proximité toute en flair, que l’écrivain déploie sa méta-physique des forces, laquelle brouille les limites entre immanence et transcendance : « ‘Personne’, ‘Je suis’, signifient cela : la brèche, la porte, le passage. Et que l’individu est divisible : il n’est personne mais le théâtre à l’air libre d’un champ de forces » (p. 82, N. souligne). Individu divisible que Deleuze appelait le dividu, que Novarina dit encore « inhommé », point temporaire de convergence de flux, de souffles, de mots, de corps, de gestes, qui demande pour être approché une méta-physique qui soit en outre une philologie.
288 p., 13,00 €