Pierre Drogi : Ombre attachée – À bouche sanglante

 
par Yves Boudier

Droit de poursuite, donc.

Seconde étape d’un même parcours, qui « reprend le lecteur exactement là où l’aura laissé “anomalie”, la dernière section du cycle anémomachia proprement dit, dans le volume précédent ». Déclinée en quatre temps : La Navire, (labiles et suspendues), contrevoix, avec les (deux) égarés. Un livre vitrail, à tous les sens du terme, jeux de lumières et captation, en un resserrement de fragments en mosaïque, d’éléments issus de l’ombre « attachée » aux lueurs que chaque poème à la fois éparpille et contient. Le cadre impose un creusement des douleurs, une épellation des violences du monde qui imposent au sujet écrivant d’aller aux confins de son expérience des limites : celles de la langue à travers la querelle des pronoms, des modalités d’interpellation, des polarités d’un dialogue qui interroge, avant même de tenir parole, la légitimité du singulier face au pluriel, de l’impératif querellant le déclaratif, de l’aveu face et contre le silence. Au cœur d’un bestiaire cher au poète, chaque animal(e), chaque plante, subit, combat, s’arrache à une identité sienne et métaphorique, convoque en sursaut l’énergie qui la sauve de ce que ni la nature, ni l’écriture, ne peuvent lui offrir dans sa course pour échapper à l’immobilité des signifiants qui lui donnent corps éphémère sous les yeux troublés d’un lecteur complice de leur destin, « Entre déterminisme et liberté ».

Le ton est grave. « fuyez colombes je nourris les corbeaux ! » écrit le poète qui interroge et répète « dans quelle épiphanie charbonne la voix ? », quelques pages avant ce quasi-art poétique de l’intime : « en avant de sa parole chacun douceur dépose ou scelle / un acte ».

Au seuil de l’usage, forme d’imploration, de l’interronégatif qui tente de dénouer le drame généralisé : « y a-t-il pas là-bas des / espaces pour la joie ? / ou silence ? », Pierre Drogi fouille la langue, la creuse « rauquement, (…) fringille, (…) ennoirci, (…) mêlure, (…) tortillaison », avec autant de mots qui lui sont propres et qui deviennent nôtres, ainsi offerts par le poème à l’affut de lui-même pour déjouer toute tentation esthétisante ou d’un inutile lyrisme.




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Lanskine
64 p., 12,00 €
couverture