Jean Joubert : Longtemps j’ai courtisé la nuit

 
par Christian Travaux

Deux parties dans ce livre, Longtemps j’ai courtisé la nuit de Jean Joubert – ce qui n’est pas inhabituel. Mais ce sont deux temps d’une vie, deux espaces très éloignés, le début et la fin, le terme et le commencement, le premier livre et le dernier. Ou, plus précisément, celui, Les Lignes de la main, qui, en 1955, reçut le Prix Antonin-Artaud. Et tous les poèmes inédits, que Jean Joubert, avant sa mort, en novembre 2015, avait conservés avec lui et qu’il publiait en revue ou adressait à ses amis, sous forme de plaquettes manuscrites.

D’abord, le premier livre, qui est toujours le premier pas risqué dans l’eau du jour, pour un poète, la première main tâtonnante vers l’extérieur, la première parole adressée vers un ailleurs, qui cherche à naître. Et, à l’évidence, quelqu’un parle. Quelqu’un a quelque chose à dire qui transcende les mots usuels. Quelqu’un s’expose, cherche sa voix parmi celles des autres, lus, fréquentés assidûment : Cadou, Eluard, ou Reverdy. Mêmes images. Même tendresse. Même recherche du mot abstrait qui transformera la chose vue, le fait vécu, le cri, la voix, en quelque chose de plus tendu, plus ouvert, plus impalpable. Des influences qui sont certaines. Des courants. Des imitations. Parfois, des images inspirées, en petites strophes, d’écriture courte. Des vers libres. Une forme longue, parfois. La vie comme une énigme, pour un « je » poète anonyme, pluriel, en quête d’identité. Et, parfois, trop de métaphores. Une surcharge. Un mot abstrait, qui fait échapper le poème à sa tâche de voir le monde, ou de témoigner que l’on vit, que l’on mourra. Une somme métaphorique qui pèse sur la langue et la voix, et fait que le poème vieillit, a vieilli, le livre a vieilli, et son eau cristalline s’écoule.

Et, ensuite, les derniers textes. Jean Joubert n’a plus rien à perdre. Il se sait vieux, malade, en fin de vie, au terme, au bout de l’existence. Comme des bouteilles à la mer, il adresse à ceux qu’il aime de courtes plaquettes manuscrites, des poèmes sur des galets, des textes illustrés, des chansons, des poèmes-affiches, des mots. Toujours plus de mots pour parler, pour tenir, pour ne pas sombrer, et pour dire adieu à la vie. Saluer Rouquette. Parler de son chat, de sa terre, ou de politique. Exister à travers mots quand on ne vit plus, ou quand on ne vivra plus longtemps. Quelquefois, ce sont des haïkus, sensibles, irradiants. D’autres fois, des textes plus formels, sonnets peu heureux ou comptines qui rappellent que Jean Joubert fut aussi auteur pour enfants. Et, toujours, ce sont des textes pour se retourner. Regarder en arrière, derrière son épaule. Pour s’inquiéter de ce qui reste, ceux qui restent et qu’on va laisser, désemparés face au silence, face au bruit du vent qui nous chasse et nous demande de partir.

Ainsi, ce livre improbable, mal constitué, et peu pensé par son auteur, est-il, pourtant, des plus touchants. Quelque chose vient s’installer, qui va partir, qui va finir dans bientôt, qui va s’en aller. Quelqu’un qui n’a plus qu’à mourir, qui s’exprime encore une fois. Aussi mérite-t-il d’être un peu écouté, comme, le long des routes, ces paroles écrites sur des stèles, et qui nous demandent, nous, passants, de faire halte, de les écouter.

Et de passer.




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Bruno Doucey
« Soleil noir »
160 p., 16,00 €
couverture