Muscle

 
par Déborah Heissler

Dans sa note de lecture, parue en juin 2015 dans CCP 30-1, Narciso Aksayam relevait déjà le parallèle, d’autant plus pertinent qu’étymologique, du musculus (« petit rat, souris », « muscle » en latin) au sujet des premières livraisons de la revue Muscle, « petite comme le campagnol courant sous la peau dont elle porte le nom », menue à l’image de la feuille, colorée, vive, pliée en quatre qui tous les 2 mois, accueille 2 auteurs aux esthétiques croisées et à l’écriture déjà confirmée – ou pas –, peu importe. Lisant Arno Calleja dans un de ses entretiens1 (à qui nous devons avec Laura Vazquez notamment la dite revue Muscle), c’est à un autre parallèle que j’ai eu envie de me livrer ; celui du corpus (« corps ») élémentaire(s), et de l’intérêt du « non finito » à la limite du réel et de l’hybride, du quotidien presque toujours et de l’extraordinaire ou du « surréel ».

Muscle, n° 10, juin 2016 – « deux grands yeux ouverts, deux grands yeux écarquillés » au sein de la nuit inconnaissable (in « L’éveil » de Jean-Luc Parant), premier poème auquel fait pendant cet autre où « tout est là à sa place […] » semble à sa place, où « […] j’ai au moins / un corps [reprend Jason Heroux in « Note à moi-même »] », où « Je sens / quelques os dedans » nous livre-t-il avant de conclure par un ultime fragment sur une créature « souffle », dont l’apparence est subordonnée à la construction du référent humanoïde : « Compliqué de consoler les machines tristes ».

Muscle, n° 11, septembre 2016 – jarmushien par la focale funèbre du corps de l’autre (dans « Spring Breakers, Lumière † de † néon » de Oscar Garcia Serra, où l’obèle peut très bien signifier que l’information donnée est relative à la mort : « Just pretend it’s a video game. Like you’re in a fucking movie » lit-on à ce titre dans l’exergue au poème). De poursuivre – « si ma vie était un film je le téléchargerais avec des sous-titres » affirme le narrateur en proie aux questions qu’il se pose : « tu préfères que je commence à ignorer quelle partie de ton corps ? tu crois que la vie détruite par la drogue existe sur d’autres planètes ? […] » –, le lecteur expérimente un mode particulier de montage, par lequel on passe d’une image A à une image B avec Frédérique Soumagne, plongeant le lecteur dans un univers halluciné, de petits poissons-métal, rappelant le processus référentiel hybridant homme et machine, déjà esquissé dans le n°10 : « un milliard de petits avions pareils / dans le monde / fantômes […] poissons [qui dans l’eau] ne se dissolvent jamais jamais jamais ».

Muscle, n° 12, octobre 2016 – c’est peut-être avec une tendance à montrer un quotidien étrange « où le mouvement des paupières est un ébranlement puis un découpage, et une apparition. Puis un repli et une disparition, et un fondu au noir imperceptible » que Guillaume Fayard (in « Des minutes par seconde »), m’incite à poursuivre cette lecture – inextricablement enchevêtrée – comme si aucun des deux textes, au sein de cette dernière livraison, ne pouvait exister seul, l’un sans l’autre. C’est conjointement et dans un dernier poème, que Dorothée Volut opère ainsi le rapprochement d’autant plus poétique qu’« exquis », d’une tartine et d’un lac « tout émietté d’étoiles »2.




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Muscle
N° 10
8 p., 3,00 €
couverture
Muscle
N° 11
8 p., 3,00 €
couverture
Muscle
N° 12
8 p., 3,00 €
couverture

1. « Il y a un lyrisme chez Manon, une « blancheur » chez Pernet, une sorte de formalisme chez Adely, un faux hermétisme et une vraie pensée en acte chez Cholodenko, etc. » nous explique Arno Calleja au sujet de la revue « Le terrain est vaste à arpenter et les parcelles se repèrent mal ».

2. « Je suis une zorroyère, et ça, c’est la tartine de Zorro devant le lac tout émietté d’étoiles ». Dorothée Volut, « Zoroyère », Muscle, n° 12, octobre 2016.