Max Frisch : Journal berlinois

 
par Pierre Hild

Découvert selon ses volontés vingt ans après sa mort, voici un nouveau journal de Max Frisch, tenu à Berlin, en 1973 et 1974. Un journal composé selon une forme propre à l’auteur qui, comme le rappelle en postface Thomas Strässle, est « un espace de synthèse pour ses réflexions esthétiques, un laboratoire de styles et genres littéraires ».
Ici, Max Frisch, 62 ans, s’installe à Berlin-Ouest. Il est loin le temps de son premier voyage en Allemagne dans les années 1930, loin, celui de sa rencontre avec Bertolt Brecht en 1947. Voici un homme rendu célèbre par son œuvre littéraire mais qui semble à cette date dans une sale passe personnelle et créative. Notoriété, alcool, dépossession de soi : « L’émigration aussi bien défi que test ».
Frisch consigne ses démarches quotidiennes pour installer un cadre intime, décrit les écrivains qu’il côtoie et leurs conversations – de très beaux portraits d’Uwe Johnson et Günter Grass –, ausculte l’autre côté du mur. « L’imagination décline mais il y a autre chose en même temps, qui n’est pas juste une conséquence de ce déclin : un intérêt d’historien pour ma propre biographie et la biographie de ceux qu’on a pu connaître, un intérêt pour les faits, maltraités jusqu’à aujourd’hui, en matériaux, c’est-à-dire, perçus comme contingents ou pas perçus du tout, refoulés dans la littérature. »
De la RDA à l’Ouest, c’est un peu du Berlin de l’époque qui nous parvient, voilé par ce qui l’étreint : « L’ennui de vivre. Parce que “vivre” ne permet presque plus aucune nouvelle expérience. Si expérience il y a, alors uniquement à travers l’écriture ».
Les simples notations sont accolées à des microfictions – dont certaines viendront nourrir Montauk, à paraître en 1975. Mais ce qui prime, c’est le besoin de « raconter sans rien inventer. Une proposition narrative simple. »
« Dans quelle mesure peut-on, quand on ne s’écoute pas soi-même parce que toutes les phrases sont usées, réellement écouter les autres ? » De l’avis de passage à la vie des autres, un journal sur écoute.




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1973-1974
Traduit de l’allemand par Camille Luscher
Zoé
224 p., 18,50 €
couverture