par Frédéric Valabrègue
Malcolm de Chazal est le poète de la couleur, de « l’arc-en-ciel, aux sonorités colorées mariées dans la lumière ». Ses quasi aphorismes, souvent prismatiques, la décomposent ou la criblent, à la façon d’un cumulus tropical transpercé par le soleil (une « gloire » !).
Il faudrait demeurer un instant sur la définition de l’aphorisme qui se propose, étymologiquement, d’en être une. Or, là, à bien y regarder, celui-ci indéfinit plutôt qu’il délimite. Plus exactement, il met en contact deux éléments créant des « apparadoxes », selon le mot de Chazal, ou paradoxes apparents. Il n’y a pas de paradoxes dans l’unité de la vision, c’est ce qui apparaît grâce à la simultanéité des contraires et au caractère instantané des équivalences. Chaque aphorisme proclame l’unité de la vision et la façon dont le poète fait corps avec ce qu’il regarde.
« Son corps / Faisait / Mode », est-il écrit dans Humour rose, et le lecteur comprend qu’il a échappé de justesse à « Monde » et que c’est là que réside l’humour !
L’aphorisme vertical, presque un haiku descendant ses trois marches, attend le lecteur au tournant. C’est tout l’art du virage. Il y a beaucoup de routes dans les poèmes aphoristiques de Malcolm de Chazal dont, dans Sens unique, son livre le plus cité : « La route est immobile parce qu’elle court dans les deux sens ».
Cette poésie utilise un nombre d’éléments comptés comme la pierre, la fleur et la route, mais elle est éclairée par une seule lumière « trans-lucide », celle que Chazal recherche dans ses gouaches parce qu’il est aussi peintre.
Ses poèmes aphoristiques ne sont jamais des aphorismes de moraliste, ils sont d’outre connaissance et le verbe être n’assène aucun savoir ni ordre. Une chose est une autre parce que l’une et l’autre courent dans les deux sens et que le poète le perçoit par transparence. Translucide concerne donc la lumière et la façon dont elle produit une transe : l’apparition. La route apparaît dans une hallucination confondant sa matérialité d’asphalte et ce qui l’anime. La fonction est le corps des objets. La sensation est la matrice de l’image. Le vase ressent ses hanches. C’est pour cela que nous parlons de mettre en contact, de faire que ça se touche et que la partie ne soit plus séparée de l’ensemble. « La bouche / Du bébé / Est / Son premier / Bonbon », c’est presque une gouache dont tous les amateurs de peinture connaissent la luminosité. Et cela nous donne à penser sans offense qu’Humour rose est une friandise.
Ça ne marche pas tout le temps. Si, quelques pages plus loin, on lit « Les haricots verts / Faisaient / Sauter / Le plat », nous sommes forcément déçus. Il ne faudrait pas l’être. Ça ne s’éclaire pas à tous les coups. La critique la plus commune adressée à l’aphorisme, c’est qu’il est une machine à répéter les figures de la rhétorique. L’aphorisme est critiqué parce que son laconisme ne cesse pas de faire des petits. Ça s’accumule et une fois que le pli est pris, comment en sortir ? C’est une marque de compréhension profonde de la part des éditions Érès que d’avoir présenté dans Humour rose deux pages sous forme manuscrites où nous voyons que tous les poèmes sont en constellations ou en troupeaux et que la page est remplie comme un dessin.
Par ailleurs, nous connaissons aussi les aphorismes de ce même livre sélectionnés par Jean-Jacques Pauvert lors d’une édition plus ancienne, et par conséquent ceux refusés par le même en ces années où l’œuvre de Malcolm de Chazal toujours méconnue pouvait se prêter à ce qu’on appelle dans l’édition « le saucissonnage ». Il faut tout prendre en entier. La conception générale de la poésie de Chazal est all over. Il a passionné Paulhan et Dubuffet parce qu’il est un poète à l’état sauvage, un Douanier Rousseau entreprenant des traités d’économie ou des essais ésotériques avec ses propres forces. Il n’a pas été voir les tropiques au Jardin des Plantes, il est né colibri. Si on regarde sa poésie d’un regard sérieux et sévère, on passe à côté de ce qui, dans la perle, jouxte le toc.
Nous nous souvenons d’un vers de Paul Eluard particulièrement poseur : « J’ai la beauté facile et c’est heureux ». Malcolm de Chazal a la beauté facile parce qu’elle est populaire et proche des mauriciens. Maurice est coquette. Maurice est un confetti en mosaïque. Elle est célibataire, alors que l’Inde et la Chine y croisent l’Afrique, comme dans l’esprit de Chazal les Upanishads se mélangent à Swedenborg, cet initiateur aux « correspondances ». Elle est remplie de rituels magiques où s’exorcisent les tensions. Dans le creuset de l’anglais, le français s’invente autrement. Il veut être direct et étincelant. Il cherche la sensation la plus immédiate. Il renonce aux articulations savantes et apparaît comme l’enfance de l’art. Malcolm de Chazal a consacré beaucoup d’éditoriaux dans les journaux de son île à ce qu’il entendait par socialisme et à la défense du créole. Il préférait être reconnu en tant que poète par son épicier que par les surréalistes. Il ne s’est jamais séparé de l’haleine et du corps d’une île qui était sa femme.