par Antoine Emaz
Livre qui s’oppose d’entrée à une poésie contemporaine qui « semble un buisson d’épineux sec ». En un sens, Boddaert renoue avec la tradition de l’épopée guerrière, mais il ne l’attaque pas par le versant brillant, héroïque et exalté (Chanson de Roland, Iliade…) ; plutôt par le versant sombre, chaotique et absurde (Nibelungen, Pharsale…). Et il ne s’agit pas de construire un mythe national mais de développer au fil de huit poèmes et une prose une certaine vision de l’histoire des hommes, fondée sur la violence et l’écrasement de l’autre. Un poème comme Dans la terreur est révélateur : en haut de page court comme une frise le texte de la loi du 22 prairial an II qui institue la « Grande Terreur », et en dessous, chaque page évoque en vers telle ou telle tragédie historique : stalinisme, nazisme, guerre d’Algérie, Khmers rouges, Vietnam… D’autres poèmes nous emmènent à Verdun, à Kaliningrad, au camp de Jacenovac en Croatie… La force de la critique vient du fait que l’évocation vise moins à la fresque historique d’ensemble, au récit épique à la Hugo, qu’à la précision horrible, documentée, tranchante, de détails concrets.
En contrepoint, la littérature et la poésie, toujours très présentes via références et citations, ne parviennent pas à faire le poids ; elles apparaissent comme une écume dérisoire autant que nécessaire par rapport aux forces destructrices, tyrannies et fanatismes divers. Le lyrisme de l’écriture va dans le même sens : vocabulaire très riche et syntaxe savamment chahutée donnent une musique chaotique et maîtrisée, mêlant grincement et brio : un élan lyrique, oui, mais sans aucune élévation idéaliste ou didactique profession de foi.
Poésie pacifiste, certainement, mais surprenante par son angle d’attaque satirique, et qui sonne de façon étrangement actuelle puisque nous n’en avons pas fini avec la bêtise et la guerre, le fanatisme et la barbarie.
Tarabuste