par Claude Favre
L’auteur1 en temps réel2 fait de son champ de recherche sur les inventions d’écritures un laboratoire croisant des enjeux linguistiques, sociaux, politiques. Non sans humour et provocation qui est incitation, sorte de citation, repartir de zéro3, à chaque fois Trop tard, trop tôt parce que malgré, il faut toujours. Rendre à / repartir de, pas tabula rasa, pas de n’importe quoi, ni sans question de la forme, d’un projet précis, de Jerome Rothenberg qui en 1964 fait, avec succès, dit-on, une « lecture de poésie primitive et archaïque » à partir de retraductions de textes amérindiens, africains, asiatiques... Le monde de la poésie s’enjoue du souffle, de la matière-son, des poèmes images, de la répétition propre aux poésies orales, trouve ses billes, rituels, système vaguement mystique de la mort à la mode de l’auteur. Sauf que JR qui a procédé par collage et fait de ces textes ses poèmes, banalisant la question des métamorphoses, assimilant les Hopi à Gary Snyder, les Navajo à Aimé Césaire, en effaçant le contexte de création relègue ainsi l’auteur à un impensé. Par comparaison insolemment précise des différentes traductions de textes amérindiens croisant poètes en rupture4, ce livre lui-même en rupture, machine de guerre critique5, texte performatif, déroute le discours polémique. La démonstration est implacable. « De ce point de vue les Techniciens du sacré appartient déjà à un passé révolu. » Dont acte.
96 p., 15,00 €
1. Linguiste des écritures, soucieux de ce que chacune invente, et anthropologue que travaillent les variations épistémologiques, les questions de la transmission, de la dette.
2. Son blog « Trop tard, trop tôt »
3. « repartir de zéro », Jerome Rothenberg, dans Les Techniciens du sacré, anthologie. José Corti, 2008. Version française établie par Yves di Manno.