par Sébastien Hoët
Ce Grand Chosier est un livre étonnant, et, sous l’apparence d’un catalogue de choses, voire d’une leçon de choses donnée par un instituteur élégant et plein d’humour, un traité de métaphysique occulte à la pointe de la pensée. On y décrit en vers libre ou en prose le grappin d’abordage, le poirier, l’épingle, la vitre, le lavabo, une fontaine, le papillon, l’usine, etc. avec un sens de la touche dont peu d’écrivains actuels peuvent s’enorgueillir. Au hasard : « Dans la terre, la taupe est un soleil manuel / Avec quoi la terre se retourne » (p. 100), « La fenêtre a du coffre / elle en a le souffle / et l’ouverture mirobolante / elle se déploie comme un livre époumoné » (p. 44), « Le cou d’une femme est un flacon dont on tire / le foulard des épaules et des seins (…) » (p. 103). Nombreuses sont les surprises d’une saisie réelle de la chose par les vertus de la description incisive et par les jeux d’assonance, de frappes syllabiques, en somme par la maîtrise d’une langue qui s’efface expertement face à la chose. L’auteur revendique une filiation pongienne. Mais, comme déjà dit, il est un autre livre dans ce livre chatoyant – un traité épars, subrepticement métaphysique, où l’écrivain tente de dire l’il y a des choses, leur discrète puissance d’affirmation, leur secrète tautologie, dans une tonalité proche des écrits de Roger Munier, mais aussi, plus étonnamment, du Tristan Garcia de Forme et objet. Il faut prendre la mesure de cette étonnante « ontologie plate » (Garcia) requérant une lecture à la fois légère et profonde.