Jacques Ancet : Huit fois le jour

 
par Christian Travaux

Parler du jour et de la nuit comme de la pluie et du beau temps, c’est parler pour parler, dites-vous.
Mais parler pour parler, c’est parler pour écouter ce qui dans parler parle sans parler.
Huit fois le jour, Trois fois, II, p.32.

 

Une structure simple : huit fois le jour. Huit poèmes dans huit sections, de huit paragraphes chacun. Huit fois huit fois, pour multiplier les possibles, et redire la création, le commencement ou la fin, le crépuscule. Tous les jours, se mettre à écrire. Devant la fenêtre, se mettre. Regarder. Essayer de voir ou d’écouter, d’apercevoir quelque chose – dans le réel – du réel, quelque chose là, qui viendrait quand la nuit viendrait, qui surgirait quand surgirait la beauté d’un jour qui se couche, et qui s’en va. Être à l’écoute. Être à l’affût de l’instant qui fuit, qui s’échappe, et de ce qui nous accompagne dans l’écoute : les gens qui passent, les bruits, les objets que l’on voit, l’on entend, les mains ou le corps qui attend et qui se tient là, dans l’écriture.

Et voir sans voir. Car ce qui se présente là (et qui est là, devant nous, sous nos yeux, toujours) est comme une énigme, un mystère, est un puits où l’on reste au bord, est un abîme dont on ne voit guère que l’eau trouble ou scintillante, et sa couleur, et sa lumière. On est sourds et aveugles au monde, trop renfermés dans le langage que nous sommes, la petitesse étroite de notre être, notre tête. On est là, mais on n’entend rien, on ne voit rien, on ne sait rien. On respire. Et le vent respire. On tremble. Et la lumière tremble dans les feuilles qu’on aperçoit, dans la montagne ou le jardin devant soi, dans l’arbre là-bas.

Jacques Ancet, dans Huit fois le jour, comme il y a bientôt deux ans dans Debout, assis, couché, tente d’écrire ce qui se dérobe toujours face à nous, que l’on voit, toujours, pourtant, que l’on regarde, si l’on s’installe à sa fenêtre : la couleur d’un paysage, l’eau claire d’un lieu, sa lumière, sa douceur, son évidence, non pas tant, mais ce qui surgit dans l’obstacle de la couleur, ce qui vient dans l’eau, la lumière d’un jardin, ce qui apparaît dans l’évidence et la douceur, malgré tout, ce qu’on ne voit pas, mais que l’on sent, mais que l’on vit au moment même où on regarde – et on écrit. Quelque chose de notre vie, maintenant, ici, à présent, dans la présente heure où nous sommes et dans notre rencontre au monde avec le lieu et le moment. Quelque chose là du fait d’être, et d’être vivant, aujourd’hui, ici, maintenant.

Et c’est pourquoi il faut, toujours, essayer et recommencer. Car ce qui vient là n’est pas là, mais est bien là depuis toujours. Jacques Ancet cherche, en l’écriture, ainsi, à dire le réversible du réel en son contraire : le jour en nuit, la nuit en jour, et les choses en fait de langage, en syllabes, en mots, en voix. Aussi, est-ce la voix, ou les voix, qu’il entend, qu’il cherche à noter. Et pas seulement une voix, une bouche, ou – dit-il – un corps, mais une infinité de voix, ou de bouches, ou de corps aussi. Des cris. Des cris infinis, qui disent le monde, dès qu’on écoute et qu’on se tait. Des cris encore, car tout crie toujours, tout s’épuise en des cris qu’on ne contient plus. Tout parle en tout, tout crie partout, à qui sait s’effacer, attendre, et entendre malgré tout ça.

Ainsi, ce livre, Huit fois le jour, dans sa structure fermée, n’est-il jamais un monde clos. Un espace multiplié, plutôt, ou démultiplié, champ de fleurs, ou ciel découvert. Ancet s’accroche à ce qui passe, tente de dire pour ne pas dire, s’essaie à, surtout, ne pas savoir, pour vivre l’instant où il vit, pour comprendre ce qui relie les choses entre elles, et les fait habiter devant son regard. La vie qui crie de ne pas finir, sur le soir. La voix qui parle, quand ça ne cesse pas de parler au-dehors et en-dedans nous. Le passage du jour en nuit. Et ce quelque chose qui a lieu dont on ne conserve pas trace. À tout cela, Jacques Ancet rend grâces et élève la prière d’un homme au jour, quand il se découvre, soudain, nu devant la beauté du monde.

Et qu’il voit, pour la première fois, le jour finir.




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Lettres vives
« Terre de poésie »
96 p., 18,00 €
couverture