par Sébastien Hoët
Cet épais volume, à la maquette magnifique, rassemble les écrits inédits de ce poète suisse peu connu en France même s’il fut l’ami de Jacques Dupin ou d’André du Bouchet et publia notamment à L’Éphémère. Les éditions Grèges tentent de remédier à cette injustice avec cet ouvrage, le second après le volume intitulé Légende posthume, paru en 2013 et regroupant les écrits publiés du vivant du poète. Il est difficile de caractériser le style, ou la frappe singulière, de Charles Racine, même si la lecture du recueil laisse une impression poignante. Impression de solitude – « Il se passe toujours quelque chose dans le cœur des autres / et jamais l’accès ne t’en sera ouvert » (p. 15), « (…) quelques rares amis que j’aime » (p. 185) –, et d’accablante déréliction – « J’ai crié sous le scalp, quoique ayant des soleillons / dans la pupille, ayant en reste de la merde à faire mourir » (p. 43) – qui requiert, pour être dite, d’autres moyens que l’écriture, ou l’art plus largement. Racine porte bien son nom et travaille dans le réel à ce qui se soustrait à la lumière trompeuse du jour, soit une « nuit (…) suturée » (p. 60) qui fait la vérité occulte de l’Être et ne peut être saisie qu’avec des instruments cliniques adéquats. Il s’agira alors d’écrire l’écrire (p. 124), un écrire exténuant le romantisme « encrassant tous les temps et le nôtre / en particulier » (ibid.). Pas d’étonnement, dans cette entreprise de décrassage, à ce que Racine aime Tàpies, à ce qu’il exprime le non-art de l’artiste espagnol dans une langue non descriptive, non narrative, mais comme au support, ou à la fibre des matières pauvres utilisées, à peine transformées, par le peintre – si Tàpies est un peintre. Le poète saisit admirablement le retrait, le « retroussement », l’immanence repliée, osseuse, l’espace pauvre et anguleux dans lequel l’œuvre de Tàpies se tient, dans lequel l’Être à nu se vérifie. Ce pas en deçà, à vif et tremblant, fait la tentative globale de l’œuvre de Racine, et mérite qu’on le suive.
248 p., 24,00 €