Philippe Artières : Au fond

 
par Alexandre Ponsart

Avec ses dix-sept parties qui structurent l’ouvrage, l’auteur nous raconte trois histoires. Trois moments forts qui viennent former un récit sur la façon dont l’être humain a vécu et lutté à un moment donné. Pour y arriver Philippe Artières s’appuie sur des témoignages et de nombreuses archives.

C’est une histoire sentimentale, intime. Celle de la perte d’un enfant, Laurent, racontée par la mère. Aujourd’hui après le déjeuner, je lui ai proposé de me raconter. Cinquante ans plus tard, autour d’un album-photo, on partage la courte existence d’un enfant (1962-1965). Puiser dans ces souvenirs est douloureux mais permet de libérer la parole et la mémoire et de comprendre comment la famille a survécu. C’est la présence de leur deuxième enfant, Hélène, qui leur a permis de surmonter cette épreuve. Je ne veux absolument pas qu’Hélène reste toute seule, qu’on en ait un autre, qu’on ait d’autres enfants. Le père, lui, ne s’en est jamais véritablement remis. Ça c’est sûr que Robert a été très traumatisé ; lui qui était toujours tellement gai, ça lui avait vraiment porté un coup énorme. (…) il culpabilisait.

C’est aussi une histoire sociale. Celle des mineurs des Charbonnages de France et de leurs épouses. Son père était ingénieur en Lorraine mais lui ne descendait jamais au fond. Bien que fils d’ingénieur des houillères, je n’ai jamais compris comment on procédait à l’exploitation du charbon. L’auteur part à la recherche d’informations et pour ce faire il se tourne vers les archives. Les archivistes m’ont aidé dans mes recherches, m’apportant les boîtes relatives à la grève de mars 1963, mais aussi à la vie des mineurs à la même période. Dans ces boîtes on découvre des photos, des articles de journaux sur les mineurs, sur leur condition de vie. On ressent la force des femmes, leur combativité pour défendre leurs maris travaillant dans les mines. Dans la presse, je trouve encore : « 13 mars, Nous femmes de mineurs de fer, faisons part de notre indignation contre la loi de réquisition, licenciement, fermeture de puits qui condamnent nos époux. Le sang des mineurs coule également dans nos veines. (…) Nous soutenons de toutes nos forces la lutte des justes revendications que mènent nos maris et fils. » Progressivement, ces mineurs réapparaissent et prennent vie. Plus tôt dans la matinée, j’ai marché sur le site le plus proche de Valmont, là où vivaient mes parents. (…) La terre est noire ; je suis saisi, troublé même par cette noirceur, presque ensanglantée. Les documents d’archives abondent et le lecteur s’imagine aisément au centre d’une mine, les mains noires et transpirantes.

C’est enfin une histoire géographique et naturelle. Celle de la forêt des Vosges qui a fourni du bois pour l’élaboration des galeries des mines. Les ancêtres de l’auteur possédaient un important domaine de cette forêt. On retrouve de nombreux échanges épistolaires en lien avec la gestion de la forêt. « À la société lorraine des amis des arbres, J’ai l’honneur de [vous] présenter, pour l’attribution d’une de ses récompenses forestières en 1943, la candidature de M. Vinot Henri, né en 1883, garde particulier des forêts de la Gagère. » À la fin du livre on trouve un lexique un peu particulier. Il traite des arbres, du bois. Arbre de délit, arbre encroué, arbre volis, bois arsin, bois charmé… Entre les documents et les témoignages, le lecteur se laisse voyager dans les forêts vosgiennes. Mais l’auteur nous rappelle que ce qu’il croyait être une forêt sauvage participait d’une histoire industrielle et sociale. Il est vrai que les forêts vosgiennes avaient en grande partie été plantées de conifères pour alimenter la révolution industrielle en combustibles mais aussi en bois de charpente pour percer des galeries sous terre.

Philippe Artière, avec Au fond, nous emmène au fond de la mine, au fond des sentiments, au fond de la forêt. Au fond d’une histoire familiale et sociale.




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Seuil
« Fiction & Cie »
144 p., 16,00 €
couverture