par Ludovic Degroote
Le peu des hommes, titre provenant d’une plage de l’Île de Ré au nom étonnamment biblique, est un livre qui se trouve à la croisée des genres : proche d’un journal aux dates dissoutes, saisonnier plutôt que quotidien, il glisse vers le poème, qu’il se délite ici et là en vers ou qu’il tende constamment à interroger la langue et la forme : celle-ci paraît construite à l’aide d’un système de ruptures qui ne devrait pas lui permettre de s’installer. Le livre est divisé en quatre parties correspondant aux saisons, on y retrouve des éléments propres à chacune – l’été, temps de la vacance, est la plus longue –, mais les dominantes traversent l’ensemble du volume parce qu’elles traversent la vie, c’est-à-dire le réel. Celui-ci renvoie à l’énonciateur et à ses propres questions face au monde et face à lui ; ainsi, le thème familial coexiste avec la réflexion sur la judéité ou l’angoisse par exemple, et avec la place de la poésie, par la lecture (Jabès, Celan et Du Bouchet au premier plan) ou l’écriture dont ce livre serait un témoin libre de son exigence. De belles inventions verbales hésitent à montrer si la poésie – « un luxe » – est un moyen d’accès à soi, une épreuve à franchir ou un frein, ou tout cela à la fois – ; quoi qu’il en soit, elle est au cœur de cette vie et de cette difficulté d’être : à « On n’est pas Je pour rien » répond quelques pages plus loin : « ... décapiter le je... fictif, trop littéraire... ».