par Victor Martinez
« La vie est si riche que la douleur physique est encore un sourire de la matière », notait Cendrars. Énonciation du ventre arabe rapporte en 13 pages épurées l’écart entre l’étrangeté d’une incision et l’ouverture de l’illumination qu’elle concède : « Je regarde l’arabe de mon ventre / un ba’ tordu de douleur / un ottoman dans le sens de la hauteur », « n’est-ce pas éblouissant ». Le poème naît des isotopies qui ne se recomposent pas : la langue du corps et des attelles ferrées de la blessure magnifient l’éblouissement « arabe », « ottoman » de la matière, sans que l’image ne déloge l’altération du langage. Telle est la manière de Marques de Souza : la douceur et l’innocuité en contexte sanglant. Sans indice de déplacement le poète rapporte l’anecdote au sens : « si cependant tu parviens à l’articulation d’un sens / aucune bouche ne pourra la prononcer humaine ». Sans doute l’énonciation du « ventre arabe » dénote d’une poussée qui n’est du sens pas plus que de la langue, mais cette entaille est aussi celle de l’arabe matériel qui en nous est appelé ou rappelé, en sa douceur, en son altération heureuse. La sensibilité à l’apport matériel des altérités logées dans le corps de la lettre (le « ba’ ») permet encore de vivre hors des énoncés constitués ; elle permet aussi de dire la blessure de la vie atteinte aujourd’hui en son absentement, vie rappelée dès lors à l’occasion de l’entaille. Rien de ce dehors n’aura à être recouvert par une signification : « je m’étendis parmi les herbes noires / et jamais n’articulai le moindre son / qui put trahir le vif de mon éblouissement ».
Rodrigue Marques de Souza (1970) a récemment publié Istanbul, embrasements (Fissile) ; il a collaboré avec Bernard Noël dans Questions d’ombre (Manière noire) et illustré des œuvres de Wateau, Noël, Binnis ou Segalen. « Artaud pur » (poème) a paru dans La Célibataire, volume coordonné par Esther Tellermann.
16 p., 5,00 €