Jack Kerouac : Journaux de bord

 
par Jean-Pascal Dubost

Un livre involontaire qui, à l’instar de la correspondance de Kerouac, éclaire l’œuvre par la vie œuvrée sans fiction, et qui balaie ses deux premiers romans1 tout en posant les jalons des suivants. Ces journaux, où en ses premières années l’écrivain comptabilise scrupuleusement les pages écrites, cassent quelques solides légendes : celle de l’écriture dite spontanée, mais hyper retravaillée, du fameux rouleau tapuscrit de Sur la route, roman commencé, pensé et bribé dans ces carnets-journaux, et pas si frénétique qu’il est prétendu2, celle de l’illuminé alcoolique, qui cependant réfléchissait à sa condition humaine, à l’enveloppe charnelle et bien au-delà des apparences de son microcosme, Kerouac recherchant du plus grand que Soi, d’où cette écriture hâtive, rapide, et à la fois ralentie, méditative : le beat bio-syntaxique se trouvait dans le rythme : « ce ne sont pas les mots qui comptent, mais la ruée de ce qui est dit », la béatitude beat n’étant possible que dans la tension de contraires. Grand lecteur, travailleur et « inspiré »3 autant, furieusement réflexif (un fou en quête de sagesse, un morosophe4), ainsi le révélerait la lecture de ces journaux.




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1947-1954
Édités et présentés par Douglas Brinkley
Traduits de l’anglais (États-Unis) par Pierre Guglielmina
Gallimard
« L’Infini »
592 p., 29,50 €
couverture

1. The Town and the City et Sur la route.

2. « Cette fable entourant la création de Sur la route, comme le produit d’une explosion fébrile d’inspiration divine, est une exagération. Un coup d’œil rapide à ce que Kerouac appelait “ses cahiers secrets gribouillés” met en évidence que le manuscrit tapé à Chelsea en avril 1951 est le résultat d’un processus laborieux comprenant esquisse, élaboration des personnages, brouillons de chapitres, coupes méticuleuses » note l’éditeur et préfacier Douglas Brinkley.

3. Posons quelques guillemets de précaution, car si Kerouac recherchait un souffle divin, disons qu’il était un aspirant inspiré.

4. Le « sage-fol » d’Erasme.