Hugo von Hofmannsthal : Le Livre des amis

 
par Agnès Baillieu

De l’importance du fragment : comme le rappelle Jean-Yves Masson dans sa postface, les fragments sont les éclats détachés d’une totalité qui reste l’horizon constant des premiers romantiques (Iéna), dont on pourrait faire l’histoire d’Héraclite à Goethe, Nietzsche ou E. Jünger par exemple. Mais en même temps tout fragment est une totalité se suffisant à elle-même, comme l’est aussi ce recueil édité et traduit parfaitement1. Le projet du Livre des amis – titre dû à Goethe – qui sera publié en 1922, est né d’une demande d’amis éditeurs qui, souhaitant obtenir de Hofmannsthal un livre « intime », ont opéré eux-mêmes un choix dans ses papiers à caractère privé et décidé de l’ordre des cinq cent quarante-huit éléments retenus. C’est Hofmannsthal, cependant, qui a défini un cadre d’ensemble : psychologie et vie privée ; philosophie et morale ; politique, histoire et vie publique ; arts et langage. Cadre et non plan contraignant puisque les lecteurs y circulent librement. Les « amis » du titre sont certes les lecteurs, mais surtout tout ce qui et tous ceux qui ont nourri la pensée et les pensées de Hofmannsthal : livres (Goethe est l’auteur le plus souvent cité), correspondants, traces de conversations, échos… vivants dans des aphorismes, des maximes, des notes. Un peu plus du quart des fragments sont des citations, parfois faites de mémoire, parfois en français (Pascal, La Bruyère, Delacroix…). Jean-Yves Masson le dit bien : Le Livre des amis est une « excellente introduction à l’œuvre du poète » et « plus profondément, une sorte de “portrait de l’artiste” dans un miroir brisé ». Écrit au fil des ans par un incomparable prosateur, qu’il est difficile de ne connaître que comme l’auteur de la Lettre de Lord Chandos et le librettiste de Richard Strauss. Hofmannsthal cite Cézanne : « Ce qu’il faut, c’est refaire le Poussin sur nature, tout est là. » (p. 77) Puis note (p. 99) : « Böcklin, c’est Poussin, la finesse en moins et la sentimentalité en plus. » La dernière citation du recueil (p. 102) : « Magnifique parole de Poussin à la fin de sa vie : Je n’ai rien négligé. »




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Traduit de l’allemand et présenté par Jean-Yves Masson
La Coopérative
144 p., 18,00 €
couverture

1. Le volume offre des notes, un index des auteurs et personnalités cités, et les citations faites en français dans l’original sont imprimées en italiques.