Catherine Weinzaepflen : Avec Ingeborg

 
par Yves Boudier

« J’ai longtemps cherché comment écrire avec Ingeborg Bachmann ». Ainsi s’ouvre ce livre sous le sceau ému d’un aveu qui a hanté des années durant le regard de Catherine Weinzaepflen, irrépressiblement tourné vers le poème de Bachmann et la page intime de l’écriture de soi à la fois suscitée et inhibée par l’ombre dense d’Ingeborg : sensible effet de miroir, l’image de l’autre réfléchie comme sienne, son sien visage métamorphosé, tel Janus démasqué, saisi de vertige à la vue du jeu spéculaire, du dépliement des identités. C’est à cela que ce livre nous invite : nous suivons en tiers témoin le tissage dessus dessous du fil qui lit et lie l’œuvre source à l’émotion parallèle d’une écriture qui vient jusqu’à nous, sans pudeur feinte ni retenue pourtant, simple et décisive. Le poème métisse, s’écrit et appelle les formes qui le relancent à chaque page tournée du temps, de la biographie et de l’œuvre, achevée pour l’une et toujours au cœur du poème à venir pour l’autre. Celui-ci culminera par le dépassement final du « je » pour traverser l’atroce stigmate du lieu même qui décida de l’horreur (la Wannsee Konferenz) et atteindre l’acquiescement d’un « non / rien » qui replie sur soi tout jugement, même de compassion, sur l’épreuve d’amour entre Ingeborg et Celan, « si tu lâches / si tu oublies la règle / si tu es juste léger / t’es mort ».
L’humanité entière soumise aux violences de notre temps apparaît là, dans ces pages tranchées, sous les mille facettes de la dégradation terrestre contemporaine. Elle est présente au sein d’un destin qui nous la révèle sous les traits du poème et de sa leçon : il ne s’écrit jamais seul. Ingeborg affronte le spectre de Paul tandis que Catherine remonte aux rives où la figure gémellaire mère-sœur lui offre l’image manquante qui tend le fil ténu d’une filiation en poésie et en amour, d’une perte innommée mais fondatrice, d’une œuvre dans la sidération d’elle-même et dans une attention des plus sensibles à la mort sous ses déclinaisons à la fois intimes, maternelles, sororales autant qu’animales, historiques. Celles de l’industrie d’un monde en déshérence, « comme un tableau / de fin du jour ».




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des femmes / Antoinette Fouque
80 p., 12,00 €
couverture