Esther Tellermann : Sous votre nom

 
par Yves Boudier

Ce livre est une quête de « l’empreinte / des syllabes ». Il tresse sa trame, poème après poème, de l’archaïque le plus profond à un futur marqué du sceau ineffaçable des affects passés. Dominé dès le principe par l’usage légitime de l’imparfait pour la narration d’un récit intérieur qui témoigne d’un avant dont le parfait reste impossible, Sous votre nom entretient, dans l’au-delà du vécu des émotions quotidiennes, une extrême tension qui le suspend dans une forme insistante de présence, elle-même parfois révélée par le temps verbal du presque même nom. Cette dialectique encomiastique d’une temporalité précédant la réciprocité inatteignable de l’acte d’aimer est instruite par un jeu pronominal, essentiellement celui d’un nous investi par les déictiques je et tu dans un dépassement de leur gémellité car porteurs d’un sentiment qui ne peut être contenu dans un unique pronom (sauf le on peut-être, mais est-il un pronom, c’est-à-dire la détermination du sujet par sa relation personnelle à l’acte de parole). Le recours au il obéit (quant à lui) à l’ambiguïté d’un mode personnel / impersonnel, actualisé par le travail très subtil dans le vers des formes possessives singulières correspondantes, rarement plurielles, jusqu’à l’apparition d’un futur né du passé qui boucle le cercle du désir fragmenté en autant de poèmes dont chaque dernier vers à l’occasion, dans un subtil détachement physique, marque un inachèvement qui devient pour le lecteur un appel et le titre possible du fragment suivant. Ce fonctionnement énonciatif est à l’image du mouvement éruptif des premières pages du livre qui convoquent les failles d’une mémoire tellurique et humaine laissant sourdre laves et scories, étreintes et cratères d’une lyrique pompéienne. Comment conjurer la mort, comment penser l’homme « reste de l’homme » ? Les deux parties suivantes apaisent l’extériorité manifeste du conflit de mémoire et réinvestissent l’élément qui triangule le désir et sa quête. Le retour du Troisième clôt le poème, tour à tour scène des métaphores incarnées, qu’elles soient les figures de l’ange, de la princesse-déesse, des océans et des jardins, tous corps d’une « liturgie » blanche « au nœud des reins / ou sous la langue » dans le dépassement volontaire « d’un monde double ».




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Flammarion
« Poésie »
252 p., 18,00 €
couverture