par Alain Cressan
Suite ou continuation de Courants blancs chez le même éditeur, ces Autres courants adoptent la même procédure d’écriture au dictaphone : vingt-six énoncés par page, formant un carré dense – et l’on sait l’importance de l’objet-livre, pris à la lettre, dans le travail de Philippe Jaffeux.
On pourrait grossièrement catégoriser ces courants en deux ensembles qui s’entrecroisent et se mêlent dans le corps du texte. Certains emploient un présent gnomique et tiennent de l’aphorisme, de la sentence, si ce n’est qu’ils se mordent le plus souvent la queue : « Le chant d’un interstice vital se module sur le processus de formation d’un silence en devenir » (p. 2). Les autres utilisent l’imparfait et la troisième personne du singulier, qui correspond au personnage du scripteur, mis en abyme du coup, et construisent une forme de récit itératif, par effet miroir en recul : « Son mutisme se sacrifia à une nuée d’interstices et des octets enregistrèrent chaque rebond de sa vacuité » (p. 51).
On notera que dans les deux citations choisies, on retrouve le mot interstice, qui me semble conjoindre les parts de ce qui ici se joue : intervalle du passage de l’oralisation au texte dactylographié, par automatisme1 ; interstices entre chacun des énoncés, dont le caractère répété rend la lecture presque hypnotique, brouillée, le blanc mutique à la fin de chaque courant prenant alors toute sa valeur ; interstices visuels dans l’encrage de la page : la lettre, comme fil conducteur.
Un travail radical de la page, qui mérite d’être lu et creusé.
80 p., 16,00 €
1. Et on jugera du tour de force de la démarche de Jaffeux, dans cet exercice très précis : chaque énoncé dicté à l’ordinateur ne devant pas dépasser une certaine longueur, pour éviter le passage à la ligne, qui briserait le carré encré de la page (voir le mot « octet » plus haut).