Robinson Jeffers : Le Dieu sauvage du monde

 
par Yves Boudier

Fort bien préfacé par Kenneth White et traduit par Matthieu Dumont, ce volume constitue la première anthologie de Robinson Jeffers (1887-1962) publiée en France. Il fut un poète majeur de la rive californienne de cette Amérique dont le « décor écrasant de puissance et de majesté » (H. Miller) engendra de nombreuses œuvres pénétrées d’un puissant sentiment de la nature et d’une redéfinition par le poème de la présence de l’homme sur une terre où, comme « ces tailleurs de pierre / qui combattent le temps » et qui « battus d’avance / défient l’ombre et l’oubli », le poète travaille à démentir Cassandre, « pauvre garce » et refuse de s’en « remettre au hasard et à la chance pour accoucher sa / progéniture ».
Anthropocène du poétique ? En tout cas, un combat par le poème pour déraciner les évidences du siècle et retisser les liens mythologiques propres aujourd’hui à refonder une pensée lucide sur l’homme et sa disparition écologique à venir. Quant à l’écriture, si elle se veut l’héritière d’une puissance épique classique, elle recherche davantage une rugosité du vers que la seule manifestation de thématiques violentes. Le vers force une mimésis des lois naturelles et refuse de se construire dans le sillage des formes littéraires héritées. Comme chez Marianne Moore, le rythme se fait avec un art des « rolling stresses », que l’on retrouvera aussi chez un Gary Snyder. Pacifiste militant, Robinson Jeffers, après le succès des années d’avant-guerre, connaîtra une relative mise à l’écart, d’autant plus que son concept central d’« inhumanisme », qui met « l’accent sur le non-humain plutôt que sur l’humain », fut mal accueilli car mal compris.

La pensée de Robinson Jeffers, soutenue par une poétique vigoureuse, s’est sans cesse opposée à l’enlisement d’une société « dans un marécage fait de sentimentalisme épais, de moralisme borné, d’intellectualisme étriqué » (K. White). Il s’éteignit à Tor House, une maison qu’il construisit de ses mains avec les galets de granite du Pacifique : « et puis cela fera comme une musique / Quand le patient génie derrière le rideau de roche marine et de ciel / Cognera avec son bâton et par trois fois dira : Viens, Jeffers. »




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Traduit de l’anglais (U.S.A.) par Matthieu Dumont
Wildproject
« Tête nue »
128 p., 15,00 €
couverture