par Michel Ménaché
Stefan Zweig, écrivain francophile, traducteur de Baudelaire, Rimbaud et Verhaeren, n’a que vingt-trois ans quand il rédige en 1904 sa première monographie consacrée à Verlaine et dédiée à Verhaeren. C’est en 1922 qu’il publiera la biographie, traduite et présentée dans ce même volume, puis la traduction allemande des œuvres complètes du poète saturnien. Chez Verlaine, attentif aux accords secrets et à la musicalité de la langue, il perçoit surtout une sensibilité très proche de l’âme romantique allemande. L’analyse est fine, influencée par la connaissance des premiers textes de Freud. S’il reconnaît au poète un génie lyrique à l’égal de Villon, il en déplore la sensibilité féminine exacerbée, l’impudeur, la faiblesse morale et, dans les années de sa décrépitude physique, la duplicité d’une posture instable, oscillant des remords du dévot aux démons du stupre ! Sans doute le point de vue de Zweig est-il très normatif et accorde trop d’importance à l’inconsistance morale du « pauvre Lélian », chrétien intermittent, païen paillard à plein temps. L’approche éthique de Zweig est celle d’une époque ayant considéré l’homosexualité comme une maladie honteuse, d’une élite sociale scandalisée par la scatologie sous le manteau. Le poète se complaisait en effet à passer des symboles religieux aux symboles phalliques, de la spiritualité fervente à la pornographie hideuse.
Ainsi, selon Zweig, la vie de Verlaine, comme son œuvre, évolua du grandiose au tragicomique, de la ferveur mystique à la dépravation, de la « rive des docilités bourgeoises » aux barreaux des prisons ou au bon vouloir des hospices, de l’exaltation des sentiments à la déchéance. Rimbaud, le météore, est entré dans sa vie. La « vierge folle » abandonnée par « l’époux infernal » a perdu son âme et altéré son génie mais ses poèmes, par-delà les affres du doute et de la déréliction, « dressent de lui le portrait d’un être d’une faiblesse émouvante, tout entier livré au moindre souffle du destin, à la moindre émotion […] tout entier poète, tout entier homme détaché de lui-même, tout entier mélodie ».
Traduit de l’allemand par Corinna Gepner
Édition présentée par Olivier Philipponnat
Le Castor Astral
160 p., 14,00 €