Rodrigue Marques de Souza : Istanbul, embrasements

 
par Caroline Sagot Duvauroux

La collection « cendrier du voyage » (bel emprunt à Dupin) convient particulièrement à ce livre où le feu mange le murmure, parmi des oiseaux simples, sur le sol sous le ciel émerveillé malgré le mâchement de l’âme.
Dans la merveille il s’est désagrégé. Écrit le Je du poème.
Une narration percutée par de petits éblouissements. Un jaune qui éclate dans une inconnaissance avec le sens de la connaissance. On baise le ventre turc. La vie gagne ici, mais flanquée, d’une peur ? non, d’une angoisse ? sans doute, mais surtout d’une consumation qui laisse indemnes les sources. C’est une poésie du sens plus que du son à moins qu’une musique en dormance se confie au sens dans une inachevable quête de beauté. Une conscience aiguë révèle les ors les fumerolles et les tracés d’une ville d’hommes. Une innocence, oui, se libère des dictats de l’idée et considère. Wim Wenders pourrait filmer le poème dans les rues d’Istanbul. Cette lenteur décisive jusqu’au souffle : une ruée.
Quelle chair, omniprésente, se laisse caresser, s’échappe ou se tend comme un sexe blessé ? La main qui a faim ? les noms de pays ? les rues et les ponts ? le grand, le petit frère ?
Un murmure : Istanbul de tes lèvres ……………… Est-ce ainsi la joie / / est-ce seulement
Un lieu dure avant le temps de l’énorme et caetera, ici, ici de l’amour, de l’appel innocent. Cette innocence est bouleversante.
La consomption ne peut atteindre la pureté brusque des sensations, cela pousse ensemble, sans confusion. Il est tout brûlé, il est tout ébloui de joie, le je d’Istanbul parcourant rue après rue, le paradoxe.

L’innocence fut-elle une laisse (presque dernier vers). Le dernier est terrible : n’as-tu pas appelé de tes vœux la nuit dans la pensée

On voudrait bien se retirer de l’innocence mais elle a conquis l’âme dans le commencement perpétuel d’aimer et voilà la beauté du livre qu’une intelligence voudrait, dirait-on, combattre comme désuète. Livre amoureux, plein de mains claires déposées avec les armes de définitions ou qui désirent nommer dans la foulée d’homme où s’écrit une ville toute de chair et d’os, de ventres, d’ombres et de réconciliation.
Poème tragique de douceur, jamais dramatique, comme le dos légèrement courbé vers le devant de la fatigue dont l’enjambement de la marche ou de l’amour détruit pour nous la fatigue.
L’éblouissement est un droit d’homme, le poème combat pour ce droit. L’anéantissement en fait partie. L’homme noir n’y peut rien.
En plein milieu du livre, en exergue :
Je suis altéré, une eau pure coule devant moi. Rûmî
Le livre est là dedans, beaucoup.




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Fissile
« cendrier du voyage »
120 p., 15,00 €
couverture