par Jean-Charles Depaule
Max Jacob venu trop tôt, trop tard ? Né à Quimper en 1876, précédant de peu Apollinaire, de dix ans Cendrars, et Reverdy de douze. Personnalité de l’avant garde parisienne avant que les surréalistes le rejettent (trop lié à Cocteau). Pas mal pillé. Et desservi par une image sautillante, son côté histrion, ventriloque – elle bascule en 1944 : « Je t’écris dans un wagon par la complaisance des gendarmes qui nous encadrent. / Nous serons à Drancy tout à l’heure. C’est tout ce que j’ai à dire » (à Cocteau, le 29 février1). Le « juif Jacob » mourra le 5 mars au camp de Drancy d’une pneumonie.
On le lit de nouveau, un mouvement se dessine, en France dans le champ de l’édition et des études littéraires, grâce en particulier au travail d’Antonio Rodriguez, et ailleurs : par exemple le poète américain Ron Padgett lui dédie un poème2. On peut, désormais, mieux mesurer les affinités qui existent entre l’écriture de Max Jacob et les préoccupations d’écrivains d’aujourd’hui.
Dans ces poèmes écrits à partir de 1926 et réunis après sa mort par Julien Lanoë, Max Jacob déguisé en Morven le Gaélique revient à la Bretagne de son enfance. Comme le souligne Lanoë on entend dans ces « monologues, dialogues, chansons [...] le débit et la coupe de phrases », la voix des Bretons de Cornouaille. Sa virtuosité parodique et son art moqueur de varier les registres sont mis au service de saynètes-portraits qui évoquent avec tendresse (oui) les figures du conscrit, de la mère du prêtre, de Marie Kerloch ou de la Sainte Vierge, les rêves de la petite servante et des jeunes filles modernes à Douarnenez...
Loin de l’imagerie bigote souvent associée au Max Jacob converti au catholicisme, baptisé en 1915, et se faisant ermite, la religion apparaît dans ses poèmes bretons comme un merveilleux mêlé d’un peu de magie, bercé d’Annonciations, de Nativités et Noces de Cana peintes sans tambour ni trompette, et que n’entame pas la mesquinerie cléricale, pas même celle d’un curé mangeant du boudin en carême.
1. Choix de lettres de Max Jacob à Jean Cocteau (1919-1944), Paul Morihien, 1949.
2. Ron Padgett, On ne sait jamais (trad. Claire Guillot), Joca Seria, 2012.