Bulletins Jacataqua

 
par Marie de Quatrebarbes

« Y a-t-il de la place à la place où tu prends place ? »
Tel Berrigan

 

En février dernier, le premier numéro de la revue Jongler réjouissait les amateurs de poésie américaine, trop contents de ce cadeau de Noël à retardement. Après Jongler, vinrent les bulletins Jacataqua, quelques pages d’un auteur choisies, traduites et diffusées par Martin Richet dans un tempo resserré. Toutes les deux semaines environ, nous recevons par mail et lisons les bulletins Jacataqua comme d’aucuns piocheraient dans une boîte de bonbons à l’aveugle, jouant et rejouant les saveurs les unes après les autres, les unes avec les autres. Par ce geste, Martin Richet constitue une réserve qu’il met en partage – réserve ou trésor singulier : plus on l’entame, plus il grandit.

De février à avril, cinq bulletins sont venus abreuver notre soif d’Amériques. L’ordre de diffusion pourrait être commenté, des mises en bouche apparemment acides (banane, pêche, pomme) d’Aram Saroyan aux déflagrations vaporeuses de Larry Eigner, en passant par les sonnets de Ted Berrigan, les stalactites visuelles de Kit Robinson et les opérations de langage d’un anglais atypique : J. H. Prynne.

Une transversale possible dans la sélection de Martin Richet : comment le temps du poème opère par décentrement et chiffrage. « Le / temps / est / venu / de / mettre / les / pieds / hors / du / cours / normal / des / événements » annonce Kit Robinson dans un de ses poème-glaçons – se définissant à la fois comme lieu et durée. Temps processuel du cristal au liquide. Question : le poème fond-il comme la glace ? Et le cas échéant, la liquéfaction du poème coïncide-t-elle avec ce moment où la lecture défait le poème et les vers se remontent ailleurs ?

Le chiffre court la page : « Pas de     Un     Deux     Trois     Quatre     Aujourd’hui » (Ted Berrigan), « Trois est le moyen / de survie et cinq / est son consort ; il jaillit / comme permission de / un qui est, prolifération nonfinie / de membres / infatigables » (J. H. Prynne). L’enchaînement des titres peut être lu comme une suite, à décoder : « Quatre poèmes », « huit glaçons », « 5 nouveaux sonnets : un poème », « Combien ils sont : une lettre »… dont le point d’orgue serait : « autour autour / vitesse de la lumière » (Eigner).

Ici, l’intertexte tisse des résonances, à travers les blurbs signés Joe Brainard, Robert Duncan, Alan Davies et Kit Robinson. D’un poème à l’autre, d’un auteur à l’autre, d’une langue à une autre, les bulle(tin)s composent une « récolte du moment, du phénomène manifeste, contingent de l’existence temporelle » (Robinson à propos d’Eigner). Qu’est-ce qui se mesure dans les bulletins Jacataqua ? La vitesse d’une réaction chimique, le temps de (dé)cristallisation du poème jouant, comme l’indique Alan Davies à propos des glaçons de Robinson, le rôle de « moniteurs statiques d’une pensée en mouvement. »1




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Bulletins Jacataqua
février-avril 2015
Nombre de pages variable, hors commerce
couverture

1. Pour recevoir Jongler et les bulletins Jacataqua, écrire à l’adresse suivante : jacataqua.bulletin@gmail.com