par Alexis Pelletier
Au début de La Crise de l’Esprit, en 1919, Paul Valéry s’exclame : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » Cette phrase est une résonnance du premier conflit mondial et c’est peut-être l’idée qui permet de comprendre le choix des 12 parties qui structurent l’anthologie, Les Poètes de la Grande Guerre : « La Guerre », « Les Soldats », « Attente », « L’Attaque », « Tranchée », « Machines de guerre », « Couleurs de sang », « Mourir », « Vivre », « Aimer », « Bruits de ville » et « Victoire ». Car ce parcours de la Guerre de 14 fait ressortir la violence, la cruauté, la désillusion de ceux qui partirent pour un conflit bref et qui, coupés du monde, virent leur destin basculer dans une horreur où la haine – bien présente dans les poèmes – se dissout dans une émotion poignante. L’anthologie avait été publiée 1992. Elle a donné lieu à un spectacle : « Où est tombée ma jeunesse » qui, présenté en Angleterre, explique que la réédition soit accompagnée de quelques traductions en anglais.
Le choix général des poèmes est sans doute plus intéressant pour les poèmes plus ou moins anonymes de cette guerre que pour ceux qui sont mieux connus. Pour les poèmes oubliés voire inconnus, la forme, le plus souvent, est fidèle à une esthétique issue de la lecture de Lamartine. Mais quelque chose tremble en nous quand Maurice Gauchez évoque « Les gaz » et dit que « Le diable s’est offert un carnaval sanglant. » Ou quand François Bernouard dit, dans l’obsession du corps d’une femme aimée : « Les piqûres des poux / me brûlent aux bras, partout / de me gratter je suis en sang. »
Cependant comme dans toute anthologie, certains choix d’édition déçoivent.
On regrette que l’éditeur n’ait pas eu l’idée, puisque le Royaume Uni est impliqué dans la diffusion de l’ouvrage, de faire apparaître, pour cette réédition, quelques poèmes écrits en anglais, par exemple, ceux de Wilfred Owen. Lui qui mit en vers, la rencontre de deux spectres des tranchées ennemies, faisant dire à l’un « I am the ennemy you killed, my friend ». On note encore l’absence d’Aragon : quelques poèmes de Feu de joie avaient leur place. Et l’on peut s’interroger sur choix des poèmes d’Apollinaire : « Fusée », « Merveille de la guerre », « La nuit d’avril 1915 » et « Fête », révèlent de façon bien incomplète aussi bien l’invention d’Apollinaire – dans Calligrammes – que sa capacité à dire toute la guerre. Cette capacité se trouve finalement plus entière dans les six lettres à Albert Dupont que Fata Morgana a rassemblé sous le titre Les Obus miaulaient avec une postface de Pierre Caizergues. Une lecture entretiendrait la légende d’un Apollinaire va-t’en-guerre. Mais, comme écrit Caizergues, « la mélancolie, l’ennui, la proximité de la mort donnent en définitive une tout autre tonalité à ces missives pleines d’humour ».
Six lettres à Albert Dupont
Avec dix dessins d’Olivier Jung
Fata Morgana
48 p., 15,00 €