Claude Adelen : L’homme qui marche

 
par Yves Boudier

L’art de l’adresse au plus haut point de son incandescence. S’il y a parmi nous aujourd’hui un poète qui « nous » parle, c’est bien Claude Adelen. Souci du lecteur certes, mais plus encore un geste à la fois simple, exigeant, qui ouvre et tourne les pages du grand livre des poèmes parvenus jusqu’à lui à travers une histoire intime et continûment partagée : « Je suis fait de l’étoffe de mes lectures et ma piètre vie est entourée de poésie(s) » avoue-t-il dans la dernière séquence du livre, Toi qui parles bas sous la voix des autres. Dix parties, suivies de cette « coda » où le poète s’explique sur sa démarche, composent ce livre. D’emblée le lecteur est saisi par la main d’une physique immédiate qui impose son jeu (au double sens du terme) dans les choix graphiques sous l’autorité hésitante des titres. Ils délimitent et organisent ces pages, sur les pas de l’homme qui marche vers l’homme qui tourne, sous le pincement des doigts de l’enfance. Ils donnent vie à la toupie poème jusqu’au « livre [qui] habite / nos fantômes qui marchent », « hommes-livres / encerclés par la langue ».
L’autre point fort de ce volume, c’est un emploi qui dépasse l’usage conventionnel du guillemet et de l’italique, provoquant un étonnant bouleversement référentiel. Cet usage singulier instaure une autonymie d’autant plus forte que les dénotations se dispersent comme sous la peau d’écritures en fusion, en rapprochements incestueux qui confèrent aux significations éclatées des connotations impalpables (inassignables : qui en est l’auteur ?) mais paradoxalement évidentes. N’est-ce pas là l’espace possible, devenu probable du poème comme lieu de ces unions illicites, de ces ruts verbaux « dans le lit de la langue » des années passées formant l’histoire proprement unique d’un être parmi les autres, au sein des siens, habité par une pulsion oblative irrépressible ?
Genèse incarnée du textuel, du sexuel selon Quignard, « l’horloge du sang ». Mais le jadis, ce lointain-proche, forge ici une parole dont la mesure et le rythme naissent du poème qui rejoue son apparition sous la palpitation du réel saisi : ainsi Les Figures sillonnent-elles le livre et l’équilibrent-elles dans sa « marche » car, s’ « il y a trois personnages dans cette histoire », chaque pronom cultive, lucide, l’hésitation indécidable de l’antécédent, ni Je, ni Tu, ni Il : « l’autobiographie se perd dans la pluie ». Le lecteur y trouve son logis.




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Flammarion
« poésie »
232 p., 20,00 €
couverture