Brice Matthieussent : Luxuosa

 
par Marie-Florence Ehret

Une fable, sans vers ni rimes, où la grue cendrée – héroïne de l’histoire – porte Persol (des lunettes de soleil – de marque je suppose ? – pour ceux qui comme moi ne le savaient pas) sac Tati en bandoulière, chapeau de paille et Converse. Elle fume des Pelican et prend la place du narrateur auteur Brice Matthieussent, dès les premières pages du livre, en le / se désignant comme « la grue frileuse un peu méditative que je suis ». Image qu’il faudra prendre au pied de la lettre tout au long du récit, car c’est bien avec ses ailes que la grue finira par quitter cette fable qu’elle aura si habilement habitée de son corps de volatile vêtue comme une jeune branchée.
À cette double nature – tenue avec brio d’un bout à l’autre, il faut ajouter un double récit – alterné à la façon de Perec dans W ou un souvenir d’enfance – celui d’une croisière de tourisme sur un paquebot de luxe, et celui d’un camp où les prisonniers subissent une série d’épreuves qui les conduisent tous à plus ou moins brève échéance à la mort. Ces tortures ne sont que les exercices de loisir poussée à l’extrême dans un univers magistralement paranoïaque où reviennent obstinément des signifiants maîtres comme le triangle / pyramide, le sacrifice sanglant (les aztèques) le brouillage des langues, etc.
Très proche de l’actualité cette fable rencontre même une barque de migrants survivants avec lesquels les évadés du bagne de loisirs vont faire disparaître le paquebot maléfique grâce au pouvoir tout puissant de l’auteur, à un téléphone portable et peut-être à la réalité des réfugiés opposés à l’irréalité de la finance ?
À noter aussi la goût – perequien encore ? – de l’auteur pour les listes, énumérations, accumulations mais aussi mode d’emploi et fiches techniques.
L’ensemble constitue un épais roman qui dénonce avec humour et force une « société de loisirs », forcés comme pouvaient l’être les travaux autrefois. L’assourdissante bêtise dont les médias s’acharnent à nous remplir le cerveau, ou à nous le vider.
Le mot joie clôt cette épopée tragi-comique. La philosophie nous l’avait appris : la joie ne se confond pas avec le plaisir !




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P.O.L
376 p., 18,00 €
couverture