par Daniel Lequette
Des blocs d’une prose subtile, aux fausses allures de rédaction scolaire, ainsi que le note l’excellent traducteur, offrent des visions – caricatures et anamorphoses – comme peintes par un Chagall féroce : choses et êtres, minés de l’intérieur, basculent sans transition des apparences de la fête, du bonheur quotidien dans un désastre organique comme ce train, peuplé de vieillards en goguette, qui se trouve en proie soudainement à « une danse désarticulée » et finit en « carcasse escaladée par les liserons ». Seule l’intimité charnelle avec la Bête aux « traces de griffe sur les épaules », qui apporte « le mugissement de la forêt » et dont les « yeux, enfoncés dans l’obscurité illuminent [la] peau », pourrait apaiser la femme ouverte à toutes les hantises « comme une chambre sans meubles ». Mais rien ne peut sauver définitivement de l’angoisse et de la solitude qui vous happent comme ces « têtes mutilées » d’effarés brisés par le mépris d’une vendeuse se moquant de leur regard avide derrière la vitrine du boulanger, rien si ce n’est cette lutte incessante pour déchirer les ventres qui vous tiennent enfermés, pour dégager l’écriture du métaphorique et la confronter avec le réel.
Édition bilingue
Cheyne
« D’une voix l’autre »
184 p., 25,00 €