par Alain Cressan
La collection « Trois poètes… » propose un large ensemble bilingue de chaque auteur, avec une présentation de chacun et une biobibliographie, à la fois anthologie et introduction à chaque œuvre.
Ce qui frappe chez Rafael Cadenas (1930), c’est l’alternance entre des formes brèves, aux vers très cours et des proses à la syntaxe ample, dans un voyage visuel (« J’ai des yeux / pas des points de vue ») d’un lyrisme parfois désabusé (« Je n’en serai ni plus ni moins pour avoir réussi à bien dire ceci ou cela »), objectif (« Je suis ici »). Le jeu des pronoms sous-tend une construction distanciée : ainsi, la réécriture d’une Odyssée sans but, où le « je » est brouillé par la référence homérique.
Il y a quelque chose de verlainien dans l’œuvre d’Eugenio Montejo (1938-2008), par l’usage du vocabulaire de la brume, du somnambulisme, du nocturne, de la chandelle… Souvent description d’un paysage, lavis un peu suranné plus que croquis, traversée par le lexique végétal ou animalier, volontiers métaphorique : « Il est difficile de faire un petit livre / avec des pensées d’arbres. »
Luís-Alberto Crespo (1941) développe une poésie de l’éclat, du fragment, de la coupure entre « je fus » et « je ferai », un présent fugace et corporel : « Je réunis peu / un début / un point », dans la référence à la poésie japonaise classique (Buson). Vertige et blessure d’un aujourd’hui : « Ceci / est l’abîme habitable / de ma maison ».