par Jean-Pierre Cometti
Ce livre rassemble une partie des études que Pierre Macherey a consacrées à la littérature depuis un peu plus de dix ans. Il s’attache, d’une part, à des questions « générales » et d’autre part à des œuvres et à des auteurs qui leur offrent un prolongement : Balzac , Jules Verne, Brecht, Simenon, Queneau, Deligny, Sue, abordés sous l’éclairage de ce que Macherey appelle une « philosophie littéraire », conçue comme une philosophie qui ne se préoccupe pas tant de se centrer sur des « philosophèmes » ou sur « la philosophie » que les œuvres sont supposées véhiculer, que de saisir en elles des « possibilités de penser », et « éventuellement de penser autrement » (Y a-t-il une philosophie littéraire ? p. 81-108).
Cette perspective, ici mise à l’épreuve, se recommande opportunément d’une contestation des oppositions qui structurent malencontreusement nos conceptions, et qui enferment la littérature et la philosophie dans une sorte de huis-clos aussi stérile et vain pour l’une que pour l’autre. Macherey consacre à ce sujet des pages intéressantes qui dispensent heureusement le lecteur des malentendus auxquels il n’est que trop souvent exposé. Il s’agit moins, à ses yeux, de souscrire à une « essence » de la chose littéraire que d’en apprécier les effets. On se souvient sans doute du livre que Macherey avait autrefois consacré à une « théorie de la production littéraire ». Les réflexions qu’il consacre ici à sa « reproduction » sont d’autant plus précieuses qu’elles montrent à quel point c’est en se reproduisant, en se divisant, en s’exposant à des possibilités de variations indéfinies que les œuvres existent, voire « commencent à exister » (p. 51). Borges, très présent dans les réflexions de Macherey à ce sujet, en a fait la matière de ses paradoxes. C’est dire que les facteurs qui en ont multiplié la diffusion sont loin d’en avoir épuisé l’aura, bien au contraire.