par Jean-Pascal Dubost
Conrad Aiken conçut un ensemble de six œuvres qu’il considérait comme symphonique et titra génériquement The Divine Pilgrim ; Senlin : une biographie en formait le quatrième volet. Senlin est le personnage de ce poème narratif en monologue tantôt intérieur tantôt extérieur, qui navigue entre « je » et « il ». Publié en 1918, contemporain de l’Ulysse de James Joyce, une proximité d’esprit est établie avec la déambulation dublinoise, et, par anticipation, avec la déambulation londonienne de Mrs Dalloway de Virginia Woolf. Apparenté à « la ville », « Senlin est assis devant nous, nous le voyons, / Il fume la pipe devant nous, nous l’entendons » ; par anticipation encore, cela ressemble fort à un plan cinématographique. Nous regardons le personnage de Senlin être la ville, nous entrons dans ses pensées comme en ville, « Senlin marchant à nos côtés, balance les bras », nous sommes même invités à entrer dans la ville-conscience de Senlin. Un peu, encore par anticipation, comme cela se passe avec le Paterson de W. C. Williams, le poète fait d’une ville tout une cosmologie et cosmogonie subjective. Le détail est appelé à proposer un questionnement sur la présence non pas au monde, mais à la vie.