Pieter De Reuse : Christian Dotremont, Traces de Logogus

 
par René Noël

Les documents et témoignages de ce livre1, au format presque in-quarto, sur l’art de la vie, la vie de l’art de Christian Dotremont, signent la levée des hypothèques sur la postérité des gisants. Sitôt notre regard porté sur eux, ils se lèvent, leurs énergies s’éveillent et nous provoquent. Créateur de Cobra avec, entre autres amis, Alechinsky, à Paris – au sud de Tervuren, Brabant flamand – il vire de bord sans couler par le fond ses aspirations de jeunesse, fait le voyage – quand tu aimes, il faut partir écrit Cendrars – en Laponie. Il arpente autant qu’il les relève ainsi qu’un pêcheur creuse la glace, pose et tire ses lignes, les routes glacées où le merveilleux, les légendes du Grand Nord et la logique du trait et des mots peints, s’imagent réciproquement. L’ours et le yéti, n’y a-t-il pas entre eux la solidarité des espèces, le jeu de leurs complicités et de leurs longues fréquentations, bien plus qu’une étrangeté ou une inimitié radicale qui les renverraient à des isolements catégoriques ? Christian Dotremont2 rappelle à tous les terriens que l’art ne se limite pas à s’adresser aux seuls hommes, mais excelle à parler, ventriloquer les dialectes des autres espèces naturelles. Ses inscriptions, aussi pratiques et humoristiques que celles de Scutenaire, dans la nature, ces mots formés avec un bâton dans la neige – forme spontanée de Land art –, participent de savoirs immémoriaux, le langage humain offert aux animaux noue les rythmes particuliers, les dons réciproques des visions de chaque espèce, leurs façons de vivre inaltérées et évolutives animant l’espace. La question de la croyance, de la crédulité entre nous et les forces naturelles, se pose avec acuité à travers les logogrammes. Les images des lettres, formules primitives des calligraphies, sont aux yeux de l’artiste autant de vues des mots, amonts, longes des sens et cours des langues aux moments invoqués de leurs inventions. La complicité de la matière avec l’artiste projette la vie, profusion de formes immédiates et imprévisibles. Terres neuves d’inépuisables hasards.




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Préface de Frédéric Baal
CFC Éditions
184 p., 39,00 €
couverture

1. Livre fait de témoignages d’artistes et de reproductions d’oeuvres, de documents, inaugurant la collection Strates en hommage à la revue Strates créée par Christian Dotremont dans les années 1960.

2. À la personnalité artistique aussi marquante que celle d’un Gil Wolman, artistes d’avant-gardes qui restent fidèles aux mouvements collectifs qui les portent, deviennent des artistes singuliers.