Mapping it out / alpha beta carta : des mots dans les cartes

 
par Luigi Magno

Une évidence élémentaire semble constituer l’un des soubassements forts de la bibliographie critique et théorique sur les rapports entre l’art et la cartographie, à savoir le fait qu’une carte est le produit d’une série d’écarts. Traquer ces écarts dans les procédés de fabrication signifie mener une enquête autour du constat qu’aucune carte n’est complètement adéquate (comme l’affirme Nelson Goodman déjà dans Problems and Projects), qu’entre l’objet / territoire et sa représentation cartographique se creuse un espace nourri par l’imaginaire1, les conventions, les constructions, les configurations, les techniques de projection, les cadres de référence, les échelles... Plus intéressante et fructueuse se montre peut-être l’étude de ces écarts dans la réception d’une carte, c’est-à-dire dans le questionnement de ce que la carte fait ou fait faire ou produit lorsque elle fait l’objet d’un usage sensible. Mapping it out permet en ce sens d’accéder à une variété assez large d’expériences de la carte, voire à des expériences très variées des espaces auxquels les cartes renvoient. De la dérision (Bourgeoise, Cattelan…) aux cartes conceptuelles (Roubaud…) en passant par les agencements des savoirs les plus disparates, la carte affiche constamment des propriétés qui la rendent à la fois une réalité plastique complexe (mots, images…), un condensé de savoirs, un outil pratique (en tant qu’instrument pour s’orienter). Or, que ce soit un espace géographique qui s’y trouve projeté ou une série d’éléments relevant d’autres domaines que la géographie stricto sensu, la carte se montre parfois comme un moyen efficace de figurer des données ambiantes sous forme synthétique. Elle joue ainsi un rôle cognitif dans la mesure où elle permet de réagencer et rediffuser un savoir notoire – mais difficilement saisissable en l’état – en lui donnant un nouveau cadre d’agencement, donc une nouvelle pertinence et une visibilité inédite, sans pour autant l’additionner de nouveaux attributs, le commenter, ou l’agrémenter d’éléments inédits. Ce type de carte permet, en dernière analyse, une réappréciation du geste projectif : loin de sombrer dans une sorte d’inadéquation, la projection et la nouvelle représentation qui en résulte font sourdre un nouveau savoir d’un savoir déjà existant et favorisent ainsi une réévaluation de problèmes publics souvent majeurs.

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Le projet de travail de l’Oucarpo (Ouvroir de cartographie potentielle) s’insère dans un territoire intéressant et inexploré, tel qu’il se configure au croisement de la technicité cartographique, des pratiques plastiques et du champ littéraire. À travers la présentation d’un certain nombre d’œuvres, ce catalogue explore plus en détail la relation que les cartes entretiennent avec les mots. La contrainte n’est pas ici le moyen d’exploration – comme dans d’autres groupes « Ou x po » – mais se trouve inscrite en amont du projet, comme dénominateur commun de l’ensemble rigoureux de règles qui gouverne la pratique cartographique. Il ne s’agit donc pas, dans le travail de l’Oucarpo, de mettre en relief la contrainte mais d’explorer les régimes esthétiques dans lesquels et à travers lesquels des cartes peuvent fonctionner.




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Mapping it out
Thames & Hudson
240 p., 24,95 £
alpha beta carta
Bibliothèque oucarpienne n° 2
40 p., sans indication de prix
couverture
couverture

1. Sur cartographie et imaginaire cf. Gilles A. Tiberghien, Finis terrae, Bayard, 2007.