par Matthieu Gosztola
« Il y a pour Klossowski un privilège absolu de la vision », ainsi que l’écrit Hervé Castanet. Comme en témoigne parfaitement Le Bain de Diane, de 1956, texte accompagné de dessins, qui « solde à l’avance », commente François Regnault, « la recherche entière par une fiction qui est en même temps fixation à la fixité du fantasme : Actéon aveuglé par Diane qui lui jette de l’eau à la face au moment où elle lui découvre pourtant sa vulve vermeille, et un peu plus, il la verrait (l’imparfait selon Lacan) ». « Actéon se réduit à l’objet regard », et le regard est « violent », pour le redire avec Castanet. « Non pas, donc, tableau qui le repose, mais instant mortel de (ne pas) voir ». Et François Regnault de conclure : « Qu’une œuvre entière ait livré son sujet, son créateur et sa victime à l’entre-deux patiemment parcouru entre ce dire, qui embrasse l’écriture, et ce voir, qui va jusqu’au silence, devrait nous laisser sans voix […] ».
Être sans voix, justement. Après Le Baphomet, à partir de l’année 1972 (il a déjà soixante-sept ans), Klossowski cesse d’écrire des récits fictionnels et des textes théoriques. Il abandonne l’écriture, dans laquelle il avait acquis une réputation incontestée, pour se consacrer à ce qu’il nomme son mutisme : sa peinture faite de grands dessins coloriés. Des dessins grandeur nature, coloriés au crayon, que l’écrivain, devenu entièrement homme-du-trait-et-de-la-couleur (et ce pour les trente-cinq ans qui lui resteront à vivre), appelle des grandes machines.
Peut-on pour autant parler de rupture, dans le cours de l’œuvre ? Pas si l’on se rappelle que Klossowski a été un monomane durant sa longue vie. Toujours – avec une inlassable constance – en proie aux visions. Par les mots, il a tenté de décrire les visions qui l’ont mentalement obsédé. Par les concepts, il a voulu donner les outils pour aborder l’image et ses manipulations. Par les dessins coloriés, enfin, il a montré, sans médiation, sans distance, les visions de son enfance avec leur pouvoir magique.
Hervé Castanet choisit – et c’est justesse – ce parti pris de l’unité, dans son analyse. Il prend en compte la totalité de l’œuvre de Klossowski, et non, de façon séparée, les parties littéraires, conceptuelles ou plastiques. Et il le fait en psychanalyste (l’on retrouve la justesse du regard qu’il a porté sur la clinique des psychoses, de la perversion, ou sur les nouages de la littérature, de l’art et de la psychanalyse). Assurément est ainsi redonnée à l’œuvre de Klossowski toute sa puissance critique, même si d’aucuns pourront regretter que son écriture ne soit pas rapportée aux enjeux de la littérature dans la seconde moitié du XXe siècle, que rien ne soit dit de son style proprement littéraire, que son œuvre plastique ne soit pas interrogée dans le champ de la création de l’avant-garde européenne, ou que rien ne soit nommé de l’impact, qui fut grand, de ses ouvrages notionnels consacrés à Sade, à Nietzsche ou à l’utopie.
Avec une préface de François Regnault et une postface de Jacques Aubert
La Lettre volée
« Essais »
428 p., 31,00 €