par Francis Cohen
« Ces engagements, si opposés et contradictoires » ?
Lorsqu’on aborde les œuvres de Blanchot aujourd’hui, on devrait saisir, comme le prescrit Michel Surya1, non seulement « où il est possible que mènent qui les a écrit » mais plus encore « où il est possible qu’ils mènent qui les lit. » Ce Cahier de l’Herne Blanchot donne quelques éléments pour apprécier le parcours de celui qui écrivait avant-guerre dans des journaux collaborationnistes, mais qui lit cet ensemble de textes reste arrêté dans son parcours par les contradictions que ce volume s’emploie à ordonner parfois de manière étrangement spéculaire. Dans la section « critique » de la quatrième partie, qui lit ces textes sera conduit de la lecture de deux textes sur Maurras à celle de quelques pages du Dernier à parler sur Paul Celan.
Où est mené celui qui lit, par-delà les années, ces textes ?
Où le conduit Blanchot qui ayant écrit des textes antisémites, écrira plus tard L’Écriture du désastre ?
La contradiction est plus vive lorsque Blanchot relate, dans une lettre à Roger Laporte du 18 novembre 1982, l’expérience de L’Instant de ma mort dans laquelle il reste fidèle à son récit. Blanchot est « jeté conter le mur » afin d’être exécuté et sera sauvé par l’armée Vlassov, mais dans une lettre à Jean Paulhan du 5 juillet 1944, il écrit : « Ici, il y a des incidents […] et j’ai été quitte pour défiler les mains levées entre des mitraillettes. »
Gérard Macé, dans « Le livre qui manque » souligne quelques-unes des « contradictions » de Blanchot et fait part d’un regret : « C’est que Maurice Blanchot n’ait pas cherché à comprendre davantage, du moins dans ses livres, ce qui lui était arrivé. Ne se soit pas demandé en quoi consiste une intelligence qui ne se protège pas du pire… » Reste cependant la question posée par Michel Surya : où est mené le lecteur de Blanchot ? Au lieu de souligner les contradictions, pour souligner le courage d’une « conversion », il conviendrait de suivre le travail initié par Michel Surya qui met à jour une rhétorique continue de la violence de l’avant-guerre jusqu’à mai 68. Ce travail politique devrait maintenant se continuer à travers les récits et l’œuvre critique.
1. Michel Surya, « L’autre Blanchot », Lignes, mars 2014.