Par Emmanuelle Pireyre
Puisque l’archétype où l’on enjoint aux jeunes filles de s’épanouir est celui de la princesse naissant au royaume, le conte est la forme d’idéalisation qui relie les trois textes réunis dans ce volume. Ceci posé, Véronique Pittolo le fait aussitôt entrer en étrange vibration avec un autre mode d’idéalisation extra-temporelle, plus politique : l’utopie. Au fil du livre, le conte mixé avec d’autres formes (conte-essai, conte-poésie, conte-autobiographie) décryptent la jeune fille rêvée ou quotidienne autant qu’ils la complexifient. Véronique Pittolo ouvre le livre par une étude de la jeune fille et de la mère génériques, ce générique étant peuplé d’objets signifiants aussi concrets que talons, baisers, garçon, cantine ou machine à café. Puis Shrek allume des éclats poétiques, brefs et incisifs, où le conte s’incarne dans les visions simples et bizarres d’un personnage vert, rond et animé, passant par les pulls et les moutons, les costumes à repasser, les blondes de Lolita à l’Oréal. Chaperon loup farci, enfin, en tant que récit, accueille la singularité de l’expérience autobiographique. Là non plus, le conte n’est jamais édulcoré, comme c’est le cas dans la plupart des textes et albums pour enfants, mais actualisé : qu’est-ce que le trajet vers une mère-grand urbaine, une forêt en sortie d’agglomération ?
On accomplit ainsi un parcours sociologique du début des années 70 à l’époque actuelle : de la jeune fille modelée par des codes sociaux niant le corps à coup de jupes bleu marine et de catéchisme à celle d’aujourd’hui surexposée sur les réseaux sociaux ; de la jeune fille qui s’ennuyait à la nouvelle jeune fille plus ou moins épuisée.