Par Franck C. Yeznikian
Un sillon se creuse ici à partir des cercles qu’une révolution opère dans l’œuvre-mine de la pensée de Georges Didi-Huberman. Sentir le grisou manifeste dans l’écho de cette inquiétude qui monte, ce voir-venir dont il est amplement question dans cet opuscule. Il s’agit ici d’une remontée lors même que s’effectue une descente au fond d’une mine en particulier, au cœur de celle, par huit cent mètres de profondeur, de Santa Cruz del Sil avec le film, Minera, de Carlos Carcas. On y découvre des mineurs en grève, rentrés en résistance du fond de leurs galeries. Galeries ô combien situées à l’opposé de celles, plus spéculatives, dans lesquelles on s’attendrait à rencontrer le regard d’un historien de l’art. Entre généalogie et anachronisme, le mouvement principal du positionnement de cet essai relie à la fois un remontage de souvenirs qui, mine de rien, troubla l’auteur dans sa propre histoire à travers la tragique présence de plusieurs formes de gaz affectant ses proches. L’introspection minière de sa région natale est ici tendue par une corde d’un fil certes rouge, pour se relier à certains films traitant de la condition des mineurs et pour aboutir et se nouer à la figure récurrente du poète et cinéaste par excellence qu’était Pasolini. Ainsi Didi-Huberman fait remonter à partir de sa lecture du montage pasolinien de La Rabbia (1963) écrit à partir d’images et documents extraits de ciné-journaux ou de courts-métrages en provenance de plusieurs pays, une articulation warburgienne du temps qui montre que le cinéma serait donc aussi de l’ordre du poème et de la survivance. Par ses mots mêmes Pasolini énonce que « le cinéma en pratique est comme une vie après la mort » ce qu’il faut entendre au sens où c’est le montage qui redonnerait vie, sinon sève à celle-ci. Un cinéma comme poésie visuelle qui à ce titre aurait aussi à voir et à rimer avec une certaine grande poésie de la Renaissance selon ici l’assonance et l’opposition visuelles soulignant le contraste. Ce qu’il y a de fascinant à travers cet ouvrage, c’est aussi de retrouver à même ce film monté par Pasolini, des figures qui ressurgissent en écho des fouilles opérées par Warburg : la beauté tragique de Marilyn Monroe en Ninfa, ou pourquoi pas avec cette danse des anguilles sacrifiées devant une Sofia Lorraine. On y retrouve fidèlement aussi cette teneur de la lamentation qui relie, de l’intérieur du travail de Didi-Huberman, ce qui s’est développé au-delà du commentaire pour devenir un ample tissage à l’œuvre.