Par Franck C. Yeznikian
C’est dans la traversée du poème, à la toute fin du recueil Carnets à bruire, que l’on trouvera la source qui éveilla ceux qu’Esther Tellermann, à travers son poème, nous donne à entendre. Tel un tombeau à ciel ouvert ses quatre-vingt-onze poèmes, fins et sinueux nous parviennent à partir de la lecture des trois carnets d’André du Bouchet qui parurent chez Fata Morgana. Au vif de cette ombre claire, qui s’insinue sous la plume de Tellermann, l’art du poète de Truinas se retrouve aussi par deux fois abordé dans Nous ne sommes jamais assez poète. À travers trente-quatre essais qui remontent de Dante à Pierre-Yves Soucy, nous apparaît une nouvelle excellence d’Esther Tellermann à partir de sa lecture qui particulièrement sonde ce qui singularise chacun des auteurs commentés en y explorant longitudinalement la question de l’écriture comme ce qu’elle donne au sujet transitivement écrivant comme être au monde. Au plus près de la langue par l’acuité de son regard et de l’écoute qu’elle porte, cet ouvrage a la densité des œuvres investies. Dès lors, son outil précieux d’une pratique analytique lui permet de pouvoir entendre et saisir ce que, à travers le propre du langage de toute entreprise poétique telle qu’abordée présentement, celui-ci manifeste à l’intérieur d’une impérieuse condition que le poème s’inflige à travers une éthique de l’être-langue. Esther Tellermann saisit à ce titre le Lenz de Büchner pour y réfléchir la question de l’écriture jusqu’à aujourd’hui : si les mots ne sont plus recel d’une vérité à révéler, reste l’écriture du XXe siècle, le jeu infini des fractures qu’elle sait imposées par le langage sur les limites où le sujet « est parlé », sur des formes qu’elle reconnaît lui appartenir mais aussi lui échapper. Au milieu d’autres grands noms d’alors comme Artaud, Baudelaire, Céline, Flaubert, Kafka, Mallarmé, Mandelstam, plus près de nous, sont présents, pour les plus représentatifs, Aimé Césaire, Marcel Cohen, Jean Daive, Claude Esteban, Claude Royet-Journoud, Bernard Noël, Christian Prigent. Mais on y trouve également des poètes moins connus parmi lesquels Charles Racine dont on recommence à trouver l’œuvre, et une femme, Josée Lapeyrère, qui partageait avec elle cet autre même métier passant par l’écoute. Chacun des textes qu’Esther Tellermann signe au creux de ce livre nécessaire, forme une herméneutique inspirée pour approcher la complexité des auteurs étudiés. Une lettre touchante à Mathieu Bénézet vient clore cette embrasure d’un manifeste de la poésie qu’il faut parler dans le déséquilibre du jour.
La Lettre Volée
104 p., 16,00 €
Nous ne sommes jamais assez poète
La Lettre Volée
208 p., 22,00 €