Emmanuel Fournier : Philosophie infinitive

 
Par Alain Cressan

Au commencement, ce geste, une poétique, un faire de la philosophie : utiliser exclusivement un mode impersonnel, l’infinitif, avec ce que cela imprime comme limitation de sens (la valeur des temps verbaux, l’absence du substantif), mais aussi avec ce que cela ouvre comme possibilité de signifier, d’interroger différemment, de mettre « à l’essai » « une autre façon de faire de la philosophie, à moins que ce ne soit toujours la même ». Un travail d’hésitation, dans le « dépouillement » de ce mode. Et il ne s’agit pas d’un « gadget » rhétorique, mais bien d’un passage de biais dans le langage qui formalise la réflexion. Remarquablement.

Les quatre livres sont composés de textes brefs, sur deux pages : « des pièces libres pour orchestre et un ou plusieurs verbes solistes ». Une composition, donc, avec des entrelacs, des mouvements, des thèmes récurrents – une musicalité propre, virtuose, dans une matière / manière initiant le travail de pensée, avec ce que cela implique du côté du lecteur : générer son propre cheminement dans un ensemble que l’utilisation quasi-exclusive de l’infinitif rend plus instable, plus mouvant ; réhabituer sa lecture, lui faire prendre corps dans l’énonciation, inhabituelle dans un essai.1

L’objet éditorial, une tétralogie d’un bloc, provoque aussi cette mise en mouvement du lecteur : allant de l’un à l’autre des petits volumes la composant, revenant sur ses pas, reliant physiquement devant lui des pages, sur la table, il travaille le texte, lui aussi composant – quand bien même, par leur ordre, ils impriment une direction ‒ : « Il nous faut être, croire, penser et vivre, et chercher comment, et recommencer à travers les possibilités qui s’offrent sans cesse à nous, et essayer malgré tout, petit à petit, patiemment ou fougueusement, de donner forme à ‘ça’. »2
Une prescription : il faut absolument lire les livres d’Emmanuel Fournier.




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Éditions de l’Éclat
« éclats »
4 volumes sous emboîtage : Penser à être (128 p.), Penser à croire (128 p.), Penser à penser (128 p.), Penser à vivre (144 p.), 25,00 €

couverture

1. Le premier livre d’Emmanuel Fournier, aux éditions Corduriès, porte pour titre Sur la lecture, ce qui témoigne déjà de cette préoccupation.

2. On notera peut-être que les citations sont exclusivement tirées de l’avant propos et du coda, tant il me semble difficile de faire part de cette expérience scintillante de lecture.