Sur Arthur Rimbaud

                                   

                                   


1. L’œuvre et elle seule, quelques lecteurs de la discrétion d’Yves Bonnefoy l’ont su garder en ligne de mire et d’ouïr (Notre besoin de Rimbaud, 2009, Seuil) ; du grade de Mallarmé en amiral de yole ivre ; de la précision d’André Suarès (Portraits et Préférences, 1991, Gallimard) ; de l’obsession masquée d’André Malraux dont la Saison hante les étrangleuses phrases-lianes, qui retour du palais de la Reine de Saba fut reçu par Haïlé Sélassié, le père de Ras Makonnen, celui qui écrivit à Rimbaud mourant « Mon ami… » ; de la lucidité apophatique de Jean-Paul Sartre : de la fraternité en arme de René Char. Si défiant que fut le projet d’Alain Borer de résoudre les poèmes aux vingt sept inconnues, l’édition des Enluminures d’Emmanuel Martineau révèle un lecteur ébouriffant (Revue Conférence n° 1, 1995) ; la biographie de Dominique Noguez aux généreux Trois Rimbaud (1986, Minuit) adresse des clins d’œil rimbaldiens aux rimbaulogues ; pour clore provisoirement par ce Rimbaud, la Commune de Paris et l’invention de l’histoire spatiale de Kristin Ross (Les Prairies ordinaires, 2008) qui distance tous les mimétiques et ressassants Alain Jouffroy, Jean-Luc Steinmetz qui a omis de compter Nathalie la mère d’Isabelle Eberhardt au nombre des femmes de Rimbaud, Steve Murphy, Jean-Jacques Lefrère, André Guyaux, tant et tant à quintupler la mythique liste de René Etiemble et réinvitent à lire-revivre notre Rimbaud à remonter le temps à bord du Dictionnaire de La Commune de Bernard Noël : zut alors !

Par Christian Désagulier

Trois très tomes I

Après un premier anthume s’inquiétant peu ou prou de la disparition du coureur d’Europe, puis un second se donnant pour l’enregistrement des secousses épistolaires d’après l’annonce de sa disparition définitive qui fut suivi d’une troisième réplique, voici que tremble à nouveau le sol : les éléphants en fuite prédisent le séisme, sinon y président. Disparu par étapes excentriques, même raccourci d’une jambe usée aux pistes africaines, Rimbaud a continué de trotter dans la tête de beaucoup pour donner ce livre impesable : pas facile de rester sans bouger sur une balance avec une jambe en moins. Ainsi, des clichés de la comète où les semelles du poète auraient laissées des empreintes dont on voudrait mesurer la pointure continuent de nous parvenir – billets, lettres, notes, inventaires toujours incomplets à s’exempter du lot. Personne ne regrette sa personne, magnifique insaisissable, mais tous veulent en avoir été touché. Mais pourquoi un tel acharnement de livres qui s’entreglosent rédigés sur son dos. Tout ne tient-il pas dans Une saison en enfer, aux quelques papiers et lettres principielles inclues de poèmes et dans les Illuminations qui abasourdissent encore1 ? Sachant que nous savons si peu de la vie vivante d’Arthur Rimbaud, mises à part quelques lettres à sa mère et sœurs, clients et créanciers, que toutes sont immensément contrôlées dans le registre de l’édification – ne largue pas n’importe quelle missive, ne maîtrise pas parfaitement la fiction qui écrit Ce qu’on dit à propos de fleurs – sachant cela, comment prendre au sérieux, c’est à dire comment ne pas se réjouir de tout ce papier qu’elle continue de faire imprimer post mortem, inépuisablement ? À cet égard on doit féliciter l’éditeur de cette correspondance posthume dont on espère que d’autres volumes suivront : 1920-1940, Rimbaud entre deux guerres ; 1940-1944, Rimbaud résistant ; 1944-1968, Rimbaud révolu ? ; 1968-1981, Rimbaud à tranquillité forcée ; 1981-1995, Crise de Rimbaud ; 1995-2007, Rimbaud chez les Taïnos ; 2007-2012, De qui Rimbaud est-il le nom ? ; 2012 à nos jours (à paraître.)


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Correspondance posthume (1912-1920)
Présentation et notes de Jean-Jacques Lefrère
Fayard
1320 p., 54,90 €

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