Giorgio Caproni : L’œuvre poétique

                                   
                                   

Par Christian Désagulier

Trois très tomes III


Je suis retourné là
Où je n’avais jamais été.
Rien, de ce qui ne fut, n’a changé.
Sur la table (sur la toile cirée
à petits carreaux) à moitié plein
j’ai retrouvé le verre
jamais rempli. Tout
est resté encore tel
que jamais je ne l’ai laissé.

(Retour, traduction Marilène Raiola)

Un gros livre ne vaut pas seulement par le nombre de pages ni de mots par page qu’il contient.
N’y aurait-il qu’un monostiche par page, cela ferait un poème de mille vers : ce n’est pas rien1.

Un livre de poids est l’expression d’une confiance, certes dans l’amortissement de la dépense engagée pour sa mise à l’étalage mais que son poids de papier, poids de grosse pierre, ne découragera pas l’acquéreur de l’emporter en voyage – un livre de poèmes à lire à l’étoile ou par des jours irrémédiablement pluvieux, que l’on peut ouvrir à n’importe quelle page, et méditer.
Des options de fabrication auraient pu aboutir à moins de pages pour faire tenir tous les livres de toute une vie de poète en un seul – sinon un plus petit volume de papier bible en petits caractères mieux compatible d’une besace des chemins ou du petit appartement en ville déjà tout encombré d’ouvrages : tant de poètes collés aux quatre murs dont la porte du logement peine à contenir les rumeurs de mots qui sèchent.

Mais un livre moins lourd ne traduirait pas allégoriquement que cette œuvre est de poids, faite de poèmes aériens au poids d’air que la poésie liquéfie, aux poids de gouttes de pluie pour tenir l’équilibre.
En fait d’allègement, la question de l’eau pétillante se poserait selon que la bouteille est en verre ou en matière plastique : à savoir que l’eau dégaze à travers la matière plastique tandis que le verre, teinté de bleu contre l’ultra violet, garde les bulles scellées dans l’eau. Et qu’épuisé au bout du chemin, si la bouteille vous échappe de soif, l’eau pétillera encore parmi les éclats coupants de soleil.

Telle est l’œuvre de Giorgio Caproni.


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Édition établie et présentée par Isabelle Lavergne
et Jean-Yves Masson
Traduit de l’italien par Isabelle Lavergne et Jean-Yves Masson, Philippe Renard et Bernard Simeone
Galaade
1024 p., 45,00 €

couverture
                                   

1. On pense à , vers, de Roger Lewinter (2001) et à aussi Une anthologie du vers unique, de Georges Schéhadé (1977)