par Thibaud Coste
À moins que l’auteur ne se joue du lecteur, le livre a été composé au soir du 29 septembre 2015 entre 19 h et 21 h. « Je suis né il y a 1 829 842 200 secondes mais ça ne va pas durer. » Tel est l’énoncé répété à 20 secondes d’intervalle1 sur une vingtaine de pages. Alors que les secondes ne font que croître, les pages, elles, marquent le décompte de la page 19 à la page 1. Curieuse performance donc, une performance privée, un exercice de remplissage : pas seulement de la page mais d’une (très) courte tranche de vie. Jean-Michel Espitallier produit un poème du temps qui passe, littéralement. Cette volonté de remplir, de confondre totalement l’écriture de la vie et la vie elle-même, n’a pas ici la frénésie obsessionnelle et mystique de Roman Opalka. Au contraire, à travers cette autobiographie instantanée, totale mais aussi vaine, le livre expose sa propre limite, la limite de l’autobiographique : oui, on peut décrire ce qui compose trois heures de vie, à condition de renoncer à vivre pendant trois heures. En somme, la performance invente l’autobiographie-blague : la page se remplit, mais ne remplit rien (ou presque rien). Reste la vanité de la démarche, et le rire qu’elle provoque.
1. C’est à peu près le temps qu’il faut pour écrire l’énoncé.