Dominique Quélen : Basses contraintes

 
par Pierre Parlant

Dans cet étrange livre que sont les Nouvelles du Je et du Monde, au tournant d’une page, Vélimir Khlebnikov écrit ceci non sans songer, ça va de soi, à l’écriture du poème : « Le chant est apparenté à la course : il s’agit de couvrir en un temps minimal le nombre maximal de lieues d’images et de pensée ! Si l’on ne s’éloigne pas de soi-même, il n’y aura point d’espace pour la course. » Chant, course, temps, image et empan de la pensée, qu’on le veuille ou non, tout est compté, tout est contraint dirait Quélen. Quoi qu’il en soit c’est bel et bien le cas de Basses contraintes, ouvrage qui vient après Énoncés types, publiés en 2014 chez le même éditeur. Voici une suite de trois ensembles dont la loi de la série est explicitement celle d’une raréfaction consentie. Lisant, on passe en effet d’une multitude à la singularité, en l’espèce de oiseaux à oiseau, avant de se retrouver engagé, sans y avoir réellement été préparé, sous l’autorité du signe ∅, lequel expose sans fausse honte que s’appliquera désormais, en nous et hors de nous, un principe de perplexité générale : « Ce poème est à qui ? Personne n’en veut ? C’est ? Ça n’est pas ? On a été ici avant ? Où et quand ? Ici qu’as-tu ? Qu’exprime-t-on ? Un ou de beaux discours ? Qui contraint ? Et malgré lui ? À lui ? Pourquoi jaillit-il ici avec un déluge de questions ? » (p. 105) Déluge il y a bel et bien. Scepticisme pas moins. Dégrisement en tout cas tant est vive – tragique en vérité la « basse continue » de ces Basses contraintes – la conscience chez Quélen de la nécessité des déterminations : « Il neige. Vas-y pas seul. Ça a été bâclé en un clic. Notre chant. » (p. 47) Cette nécessité, Quélen en fait l’usage le plus fin en exigeant qu’elle puisse admettre à l’existence un dire certes soumis, mais inédit enfin. Muni de son corset langagier, Basses contraintes devient alors bien mieux qu’un chant, un héroïque contre-chant.




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120 p., 18,00 €
couverture