Marc Cholodenko : Puis gris que dilue du rose… que brûle le bleu

 
par Isabelle Garron

Le titre est le premier vers

Le titre de l’ouvrage, courant recto verso et bleu sur blanc de la couverture, reprend la première phrase de l’écrit qui se découvre interminable bloc de prose. Pas d’espace non, ni de respiration entrevue, lorsqu’après avoir pris la mesure de l’écriture sur quelques pages dévalées, on s’interrompt de lire le texte pour feuilleter l’objet, constatant que le projet de son auteur sera celui-là jusqu’au dernier mot. Celui-là, c’est-à-dire celui d’une langue comme une bouffée opaque d’unités de sens, reliées les unes aux autres par le support, par le point, par le souhait de l’écrivain de les faire s’enchaîner ainsi ; – ainsi jusqu’à la fin. Une fin qui semble être amenée pour introduire une « journée qui commence », au moment précis où cette coulée de signes s’interrompt, dans la réalité de la fin du dernier feuillet. Le « début » importe. Ce que le début dit, ce que le commencement fait dire, autorise, déploie ou suspend, constitue autant de matériaux réfléchis et déclinés dans cette œuvre qui déplace inlassablement la forme qu’elle prend, entre prose et vers, entre abstraction et figuration – depuis quarante ans. Il n’échappera pas non plus au lecteur attentif comment le titre de cet opus expose visiblement par la marque des points de suspension de part et d’autre de la ligne cette solution de continuité venue scander autrement les mots, comme jamais par la suite dans le corps du texte. Et l’on a possibilité de croire que cette composition en ouverture éclaire sous l’expression de ce précipité de couleurs issues de l’aube (autre commencement) l’ambivalence même de la phrase de Cholodenko ; une phrase dont la compacité étirée n’interdit nullement l’intervalle, comme ici sur l’arête de ce frontispice, le signe d’un retrait latent ou bien encore la recherche d’une présence, qui rarement se laisse saisir hors des géométries du langage et de ses mouvements. Soit une autre façon, pour cet auteur de dialogues pour le cinéma de Philippe Garrel, de projeter à son tour des échanges noués entre un réel léger et une sorte d’épure narrant quelque nostalgie déréglée ; elle évitant soigneusement de provoquer tout raisonnement qui tournerait à un jeu narratif qui se passerait de phrases, – je veux dire de phrases écrites pour formuler ce qu’elles disent dans ce qu’il nomme « ce désir qui anime la pensée ».




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P.O.L
80 p., 10,00 €
couverture