Julien Bosc : Le corps de la langue

 
par Alexandra Seha

Le corps de la langue est un chant, un discours, un jet polysémique lancé en pleine figure, à bout de bras. Il file jusqu’à la fin des doigts, jusqu’à la pointe humide des cheveux après l’acte sensuel. Julien Bosc ne nous raconte pas vraiment d’histoire, mais nous éprouve à travers la poésie qu’il met en langue car c’est là que se trouve le cœur même de son œuvre : la polysémie presque vitale des mots. La langue n’est plus seulement le discours parlé mais bien l’organe qui lie deux êtres. L’homme et la « chienne », l’homme ou la femme dans leur rapport de soumission l’un à l’autre, la voix directe n’est que féminine, la voix neutre est celle de l’auteur, l’homme n’a pas son mot à dire. L’homme ne parle pas, aimerait sans doute, et si sa langue est le silence, elle se meut grâce aux ondulations de celle de la « chienne ». Elle parle, domine, mouille, crache et crie puis se tait dans un silence qui prend forme dans le blanc de la page que nous pouvons toucher de l’index. La sensualité de l’œuvre n’est pas seulement dans ce que nous lisons. Le livre se touche, les mots prennent corps en nous au fur et à mesure que la lecture s’intensifie autant que leur union.

Bernard Noël, dans la préface, évoque une « pensée physique donc originelle » pour parler de la langue de Julien Bosc. L’écriture physique est originelle parce que la langue vient après le toucher, les signes du corps, les expressions physiques d’un ressenti. Julien Bosc n’écrit ici que pour le corps. Le corps est à l’initiative de toutes les langues, qu’elles soient parlées, lues ou bien même physiques. En cela l’œuvre est vitale. Elle vit à travers les sens. Le toucher mouillé, la vue tachée et enfin l’ouïe criée ou tue. Il faut se laisser toucher et avoir. Les mots sont présents pour pénétrer en nous plus rapidement et plus brutalement.

Faire corps avec la langue de l’auteur est une question de partage, un partage mutuel. En tant que lecteur nous donnons notre silence de lecture à l’homme muet. Son écriture nous mouille. Nous échangeons un baiser chaud avec l’auteur qui y met la langue.




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Préface de Bernard Noël
Quidam éditeur
76 p., 10,00 €
couverture