Jean-Marie Kerwich : Le livre errant

 
par Philippe Di Meo

Pour ce qui concerne l’œuvre de Jean-Marie Kerwich parler de poésie en prose a-t-il un sens ? Quoi qu’il en soit, son ouvrage n’est pas versifié mais organisé en unités poétiques ne dépassant pas la page.

Mû tout au long par un souffle paisible, un ton égal produit un effet de densité si convaincant d’en apparaître « naturel », « authentique », tant le propos détonne. Fruit tangible d’un travail parfaitement maîtrisé.

La syntaxe fait généralement l’économie des subordonnées. La phrase y gagne en expressivité. Ainsi, nous semble-t-il lire un texte conçu par touches juxtaposées ou, plutôt, comme la vitalité assurée d’une arabesque. Une arabesque sachant articuler finement silence et parole.

S’il fallait associer un tel « divisionnisme », nous serions tentés d’évoquer Khalil Gibran, à titre purement indicatif, mysticisme « spontané » inclus. Mais d’une spiritualité foncièrement différente : ici immanente, tendanciellement panthéiste plutôt que transcendantale. En dépit de cela, loin de toute école connue. D’où un effet de fraîcheur certain.

De fait le recueil entier se fonde sur un incessant ressassement de sensations diversement oraculaires, cependant reconduites à une échelle minimale et dépourvues de toute injonction prescriptive.

Une forme d’impersonnalité, constamment démentie par des confidences autobiographiques récurrentes, est posée. Comme est posé le mythe moderne d’un « livre sans auteur ».

Le vent, sensuellement harmonisé aux éléments cosmiques, en « tourne les pages » pour aboutir à un « livre errant », celui du va-et-vient de la prose poétique dont la verdine1, la roulotte attelée du XIXe siècle, est l’image originale, séduisante.

Les méandres accidentés de la période miment les cahots d’un véhicule poétique à l’itinéraire ardu. Dans l’horizon saturé de la modernité assimilée à autant de décombres mortifères. Dans ses allers et retours, le soliloque méditatif d’un homme seul, mime le tissage d’un réel désastreusement entamé par le monde industriel assimilable à une minéralité envahissante, inacceptable négation de la vie.




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Mercure de France
96 p., 10,00 €
couverture

1. Rappelons également L’Évangile du gitan, Mercure de France, 2008.