Daniel Spoerri : Topographie anecdotée du hasard

 
par Lorenzo Menoud

Le mardi 17 octobre 19611, à 15h47, Daniel Spoerri2, dans la chambre numéro 13 de l’hôtel Carcassonne3, au 4e étage du 24 de la rue Mouffetard4, 5e arrondissement de Paris5, relève avec du papier calque les objets qui se trouvent sur une table bleue (espace) et entreprend d’en raconter des histoires (temps). Il en fait un livre qui s’appellera Topographie6 anecdotée du hasard7 et paraîtra en 1962 en guise de carton d’invitation pour une exposition à la galerie Lawrence. Depuis, Spoerri lui-même (1966 et 1968), Emmett Williams8 (1966 et 1995), le traducteur anglais, et Dieter Roth9 (1968), le traducteur allemand, ont ajouté des commentaires aux commentaires initiaux – et Roland Topor10 (1966) des dessins.

Cette nouvelle édition française, admirable en tous points, nous donne à lire l’intégralité des différentes interventions et préfaces, ainsi qu’une grande carte qui situe les objets proposés. Elle est en outre enrichie d’une préface de Tex Rubinowitz, d’une postface de Deborah Laks, de quelques notes et d’un cahier de photographies en fin de volume.

Voici, pour terminer, quelques suggestions pour ranger une table qu’il trouvait lui-même désordonnée – au point qu’il en fit la Topographie anecdotée de l’ordre en 1962 (reproduite aux pages 339-346) – à l’aide de différents classements possibles : par ordre alphabétique des objets (agrafeuse rouge, agrafeuse Swing-Line verte, etc.), par ordre spatial des objets de gauche à droite et de haut en bas du plan (une des deux poches carrées en soie, pot transparent de colle en matière plastique, etc.), en fonction de leur prix d’achat par ordre croissant (10 centimes, un trèfle à quatre feuilles en métal doré ; 1 DM, un étui doré ne contenant désormais plus que deux préservatifs sur trois ; etc.) ou décroissant (700 francs, un bouton de sonnette en bakélite ; 600 francs, une agrafeuse rouge ; etc.), par ordre alphabétique des personnes citées (A., A.B., etc.), ou par ordre de leur apparition dans le texte (Renate Steiger, Claus Bremer, etc.), etc.




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Le nouvel Attila / Le Bureau des activités littéraires
396 p., 25,00 €
couverture

1. Cette topographie a donc été réalisée deux mois, 61 jours exactement, avant ma naissance.

2. J’ai découvert le travail de Spoerri lors d’une exposition au Musée Rath, à Genève, en février 1991. J’y ai emmené une classe de collégiens. À la fin de la visite, l’un d’entre eux m’a demandé si Spoerri venait du même hôpital psychiatrique que moi.

3. Sur le bureau où je tape ce texte, à ma droite, j’ai deux photos de ma fille prises à Carcassonne en avril 2004.

4. Le 29 avril 2000, nous sommes allés voir en famille la rue où avait vécu la sorcière de la rue Mouffetard de Pierre Gripari.

5. La première fois que je suis allé à Paris, c’était en août 1982, je rentrais de 6 mois de voyage aux États-Unis où j’avais notamment découvert la route, le sexe et la prison (sur ce dernier point, lire mon compte rendu dans CCP 32-4).

6. La première fois que j’ai entendu parler de cet ouvrage, c’était en 2005 par Véronique Vassiliou qui en a donné une version pour le numéro 2 de la revue OEI.

7. « Vous parlez “d’organiser le hasard”. Il y a là un des problèmes les plus importants de l’esthétique moderne. En musique, il a suscité la fameuse polémique entre Cage et Boulez, le premier proposant l’indétermination totale et le second précisément un hasard contrôlé. Je sympathise avec Cage, mais je dois avouer que je ne suis jamais arrivé à composer avec l’indétermination absolue qu’il préconise […] et que pratiquement je travaille plus comme Boulez, même en reconnaissant l’énorme influence de Cage sur nous tous (Boulez aussi). […] Cage objectait à l’idée d’“œuvre” accomplie, mais je ne sais pas faire autre chose. Comme Boulez, du reste… Je n’ai pas de réponses, ici, mais seulement des questions » (extrait d’un message électronique que m’a adressé Augusto de Campos le 14 novembre 2002).

8. J’ai vu Williams en performance le 22 avril 2005, à Genève, lors d’un festival organisé par l’association Roaratorio. Vincent Barras m’a rappelé qu’à cette occasion Williams a notamment lu le poème concret Meditation n° 1, alors projeté (sur lui ?).

9. J’ai vu trois expositions de Roth : à Barcelone, le 30 mai 2001, à Bâle, le 13 septembre 2003 et à Neuchâtel, le 27 septembre 2003. J’ai 8 photogrammes et demi (sic) de son Tagebuch récupérés à cette dernière occasion.

10. Dans les années 1980, j’écoutais régulièrement Topor à France Culture dans l’émission Des Papous dans la tête.