Charles Olson : La vraie vie d’Arthur Rimbaud – The true life of Arthur Rimbaud

 
par Andrea Franzoni

Chants d’archives

Après l’arrêt de la respiration, les mots écoutent.
Jack Spicer

Difficile d’imaginer à quel jeu se prêtait Charles Olson lorsqu’il envoyait ce texte sur Arthur Rimbaud, qu’il ne connaissait que de travers, à la maison d’édition qui publiait alors les livres de Pound (New Directions), un mois avant que Pound – ce maître qu’il « sauva »1 – enfermé à Pise, n’eût produit cette statue poétique appelé les Cantos Pisans.
Nous pouvons observer par cet épisode un mode de fonctionnement du fameux field olsonien, soit, la dimension de la cage détermine l’amplification du chant2. Inversement, nous dirons, notamment en rapport à cette vraie vie…, que l’indétermination du chant amplifie la dimension de la cage, c’est-à-dire que dans un champ trop vaste (un Rimbaud idéal) la musique se disperse et la poésie se tait, formant ainsi un chant d’archive, non un poème, mais le témoignage d’un passage, d’un modus operandi qu’Olson ne manquera de préciser d’œuvre en œuvre : celui de l’histoire (sur l’axe sémantique) comme base pour l’enregistrement des données herméneutiques ; et celui de l’expérimentation (sur l’axe formel)3 – autour de mètres et des sonorités.

Quant à Rimbaud, c’est la durée du champ qui fait son ampleur.

“I.e., a good novel, as a good poem : cannot : ’conclude…’ /// it exists / only to be returned to.” (Creeley to Olson, The Complete Correspondence, vol. I)

Ainsi, Olson reviendra sur Rimbaud à plusieurs reprises, dans les lettres, en les citant dans les poèmes, l’utilisant toujours comme rouage de sa machine d’analyse du phénomène poétique, adaptant le concept de voyance à la vision qu’il eut lui-même de la machine à écrire comme véhicule d’une tradition métrique nouvelle, n’ayant jamais existé auparavant (voir Projective Verse), une physique du vers rapidement tombée en oubli dans la réflexion métrique générale.

En tant que ‘poème’, La vraie vie d’Arthur Rimbaud, narre la vie non poétique de Rimbaud, se concentrant sur le douloureux passage de la main à la jambe, de l’écrivain au voyageur, du vivant au mort, du nom au mot, du poète au poncif. Pour son interprétation, nous conseillons de le lire à la lumière de Un faux roman sur la vie de Rimbaud, de Jack Spicer, qui, quelques années plus tard, avec la lucidité de toute son inconscience, aura fait, de ce texte envoyé en cachette, un vrai poème sur la fausse vie de Rimbaud aux États-Unis :

« Imaginez, ceux de nous qui sont poètes, un bon poète. Nommez pour vous-mêmes ses possibles attributs. Il devra être mmmm, et nnnn, et oooo, et pppp, mais il devra exister. C’est un attribut nécessaire pour les bons d’exister. »4




Share on FacebookTweet about this on TwitterPin on PinterestShare on TumblrEmail this to someone
Traduction d’Auxeméry
Librairie Olympique
56 p., 12,00 €
couverture

1. « Problem is now not to go stark screaming hysteric cent per cent 24 hours per day… Olson saved my life », écrit Pound dans une lettre, en 1944, à Julien Cornell, son avocat, depuis la prison de St. Elisabeth, où Olson allait très souvent lui rendre visite, en lui permettant d’avoir ses 15 minutes de conversation ‘normale’.

2. Ce qui n’est vrai que comme slogan, bien entendu. Nous déterminons un horizon pour rétrécir l’espace de vue et l’encadrer dans les quelques termes qui nous servirons à jouer La Compréhension, instrument qui, comme toute musique, se fait sur la base de frontières de fréquences reconnaissables.

3. Beaucoup de jeux de mots sont présents dans le texte originel (par ex. « The anti Faust cries »)

4. Jack Spicer, Un faux roman sur la vie d’A. Rimbaud dans C’est mon vocabulaire qui m’a fait ça, traduction d’Éric Suchère, Le Bleu du ciel, 2006.