Henri Deluy, ici et ailleurs. Une traversée d’Action Poétique

 
par Yves Boudier

« Une histoire de mon histoire », tel est l’incipit d’un entretien qu’Henri Deluy accorda lors d’un séjour à Montréal en 2013 à Julien Lefort-Favreau et Saskia Deluy, peu de temps après la parution du dernier numéro d’Action Poétique (n° 207-210) en 2012, au terme de plus de soixante ans d’un parcours revuiste quasiment unique dans le paysage poétique contemporain. Le lecteur retrouvera là, certes formulé souvent avec de nouvelles nuances, le long récit qu’Henri Deluy aima offrir à plusieurs reprises de cette aventure en poèmes et traductions, depuis le n° 79 de septembre 1979 (25e anniversaire de la revue) jusqu’à l’ouvrage de Pascal Boulanger, Une Action poétique de 1950 à aujourd’hui publié chez Flammarion en 1997. Le propos ici se fait plus précis, plus tranchant parfois dans l’évaluation de certaines postures, lucide et proche du repentir lorsque la politique et l’histoire frappent à la porte des souvenirs, mais jamais complaisant ou poli par omissions ou silences complices. Vertu d’une longue vie, en retour réflexif sur elle-même, sans souligner, et rien n’est plus légitime, une certaine satisfaction après-coup d’avoir su tenir pendant tant d’années les conditions d’existence d’une revue qui vit passer en son comité, et plus encore dans ses milliers de pages, certaines des voix les plus marquantes de la seconde moitié poétique et artistique du siècle passé.

Suivent trois textes d’un grand intérêt et de formes différentes. Une étude d’une grande précision portant sur les livres qu’Henri Deluy publie au tournant du siècle, par Anne-Renée Caillé (Là où le passé peut nous mener), une réflexion d’Henri Deluy lui-même sur son rapport à la traduction (« On ne traduit pas des émotions ou des jeux de mots, des sentiments ou des idées, du sens ou des sonorités, on traduit une forme, qui inclut cet ensemble sans lequel la langue et le langage n’existeraient pas »), et un texte de Liliane Giraudon, sous la forme d’une succession de questions, celles que l’on garde en soi jusqu’à les poser dans l’urgence du temps et de l’amour, en forme de portrait du poète et de l’homme.

Sans oublier qu’« Action poétique [fut] la seule revue culturelle au monde qui ait publié dans chaque numéro une recette de cuisine », on se penchera alors, et c’est peut-être là pour beaucoup de lecteurs qui privilégieront les poèmes et les traductions l’importance d’un tel ensemble – ce qu’HD ne nierait pas –, sur un choix de poèmes et de textes publiés parmi les 210 numéros de la revue, d’auteurs vivants, morts, traduits ou de langue française, parmi lesquels on rencontrera à la fois Akhmatova, Lopes, Neruda, Stein, Pasolini, Barret, Broda, Perec, Tortel, Giraudon, Mandelstam, Faye, Dupin, Lucebert, Azam, Weinzaepflen ou Elisabeth Roudinesco dont l’adresse à Henri Deluy témoigne à la fois d’une admiration discrète et d’une nostalgie sensible, « celle de la jeunesse et de l’initiation à l’écriture ».




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Sous la direction de Julien Lefort-Favreau et Saskia Deluy
Le Temps des Cerises
« Action Poétique »
240 p., 13,00 €
couverture